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Quels fondements pour une morale en politique ? Par le Père Stalla-Bourdillon

Redécouvrir ce qui fonde la vie morale, de l’école au parlement.

L’ensemble de la sphère médiatique radios, journaux, web et télévisions constate le besoin de réhabiliter la vie politique en France. Les élus sont soumis à l’impitoyable tribunal de l’opinion tandis que la société n’en finit pas d’attendre d’eux qu’ils incarnent leur « messie », un sauveur. Intègre, juste, compétent, efficace, l’élu doit posséder toutes les qualités et se faire le défenseur des idéaux transcendant de justice, d’égalité, de liberté… Réclamer d’être gouverné par des « saints » est une bonne chose, mais suppose de préciser la source de cet idéal et ne pas s’exonérer d’essayer de le devenir aussi nous-mêmes ! L’heure est à la redécouverte ce qui fonde la vie morale de l’école au parlement.

La vie morale peut s’envisager comme la réponse à l’appel qui a retenti dans la conscience lorsque celle-ci a vu le bien à réaliser. Donc la question décisive est la suivante : y aurait-il une morale commune à tous sans la reconnaissance préalable d’un appel commun ? Cet appel se reçoit d’une source originaire dont nous trouvons trace dans ce corps qui nous constitue, dans ces désirs qui nous animent, dans ce que nous appelons une « nature » animale ou humaine – qu’il nous faut accomplir. C’est de l’appel à goûter la joie de vivre et à réaliser ensemble un monde digne des humains que naissent les règles de la vie morale. Celles-ci supposent donc une certaine idée de la finalité de la vie. C’est ce point qui est actuellement en tension. C’est aussi ce point aveugle du débat sur le « mariage pour tous » qui suscite tant de résistances. Si chacun ressent le besoin de redonner un code moral à la vie publique, nous ne cessons dans le même temps de nier l’existence d’une référence commune avec ses lois propres orientées vers notre épanouissement. Comment répondre au besoin d’ordre moral s’il n’y a pas de « raison » (de fondement) qui le rende possible ? Une morale qui ne se référerait pas à une nature et à ses lois ne s’expose-t-elle pas à être une volonté désincarnée ? En réclamant une moralisation de la vie politique, les français attendraient un nouvel ordre des choses. Or, comment cet ordre peut-il naître de l’instance qui est elle-même en faillite ? Jusqu’où est-il possible de s’auto-réformer ? Telle la question spirituelle au cœur du pays. Sur quels fondements nous appuyer pour édicter de nouveaux principes ?

La première urgence consiste donc à se demander s’il existe une éthique commune possible sans fondement ? Chacun est ici renvoyé à la justification des principes qui nous gouvernent. Pourquoi faut-il être honnête ? Pourquoi le service du bien commun est-il prioritaire sur le bien individuel ? Comment pouvons-nous justifier des décisions que nous prenons ? Ce n’est pas d’aujourd’hui que date le flottement éthique. Nous ne faisons que recueillir les fruits du déni répété sinon du rejet d’un ordre indépendant de notre volonté, elle-même éprise du désir de façonner un monde à sa mesure. La contradiction est criante lorsque nous revendiquons un ordre moral et que, dans le même temps nous nions tout fondement, toute idée de nature des choses ! S’il n’y a pas de valeurs universelles qui découlent d’exigences relatives à la vérité de la nature humaine, alors il n’y a pas d’autres systèmes que celui que nous décidons. Pourquoi pas ? C’est un choix, et c’est à nous de le faire individuellement et collectivement. Je pense qu’avec humilité, il faudrait pouvoir redire que nous ne sommes pas, par nous-mêmes, la mesure définitive du bien. C’est cela qu’il est si difficile de concevoir aujourd’hui et qui constitue le défi spirituel de notre époque. Nous avons tous un ardent désir de bien faire, et cependant la norme du bien n’est pas un produit de l’homme. Si l’homme ne la produit pas il n’est pas incapable de la concevoir. Le premier pas vers plus de morale consisterait à reconnaître en vérité que nous manquons de lumière sur le sens ultime des choses et que nous ne devons pas renoncer à le découvrir. Oui ou non devons-nous reconnaître un ordre transcendant des choses confié à notre liberté ? Cet ordre paraît très simplement dans l’impérieuse nécessité de respirer de l’oxygène pour vivre et d’avoir deux parents de sexes différents pour naître. Ce sont des choses qui s’imposent à nous et sur lesquelles nous ne pouvons rien, sinon y prêter une très haute attention, car ces lois fondamentales sont aussi des clés possibles pour une intelligibilité de nos vies.

Ce ne sont pas les personnalités politiques qui sont en cause, mais l’aveuglement progressif d’une société toute entière – de laquelle nous sommes tous responsables – qui sape peu à peu les fondements d’une morale cohérente avec le développement intégral des sociétés. Lorsque nous parlons d’un ordre moral, le mot « ordre » ne signifie pas une coercition contraignant la liberté, mais d’une configuration préalable qui permet notre liberté. L’ordre naturel des choses est donc un cadre à partir duquel nous pouvons envisager le libre développement de notre vie sociale. Sans référence à un fondement qui nous englobe tous, et qui nous réunit dans une même nature humaine et donc dans une unique famille humaine, nous aurons du mal à refonder des règles qui ne soient pas qu’un simple sursaut. L’idéal serait d’accompagner le travail de rénovation d’une réflexion de fond qui croise les grandes questions de philosophie. C’est l’enjeu d’un accompagnement spirituel des responsables politiques.

Le droit positif peut-il s’affirmer en demeurant affranchi de ce fondement que nous appelons communément une « nature » ? Je ne le crois pas car pour que la vie morale devienne une réponse de gratitude à l’égard du monde qui porte la vie, il faut que ce monde soit reçu comme un don. Un monde au sein duquel le propre de l’humain est de poser le sceau final de l’amour, seul conforme au développement plénier de l’homme et des peuples. L’effort de moralisation passe par l’énoncé du fondement du bien commun. Peut-être devrions-nous davantage susciter des espaces d’interrogations et de partages sur les diverses conceptions du monde que chacun a forgé au fond de soi – à partir de tradition religieuse ou humaniste ? Ce partage permettrait un dialogue et par lui un progrès dans une intelligence renouvelée du bien commun.

La vision chrétienne considère que des lois positives qui ne reposeraient pas de façon cohérente sur un référentiel transcendant, affaibliraient dans la conscience commune l’existence d’un ordre juste, lequel ne dépend pas que de nous. Autrement dit, la foi chrétienne confesse que ce monde est reconnu comme bon indépendamment de l’expérience heureuse ou malheureuse que nous en faisons, parce qu’il découle d’une source bonne. De cette affirmation, nous sommes responsables étant appelés à l’exprimer à travers notre propre bonté. Mais face à l’expérience de notre vulnérabilité, de ces « obscurité » qui nous tiennent captifs, sur quoi nous fonder pour oser croire que nos efforts pour le bien et l’issue de notre aventure humaine ne sont pas vains ? Pour avancer de façon réellement positive, il conviendrait d’aider chaque français à s’interroger du fond de son âme sur les sens de sa vie, sur le bonheur qu’il espère et sur les moyens d’y atteindre. Alors s’envisageront à nouveau, les leviers les plus puissants de l’histoire de l’humanité, à savoir la foi, l’espérance et la charité, qui sont les trois vertus – dites théologales car elles orientent vers l’Absolu dont le nom spécifiquement chrétien est « Trinité » – qui ont permis à l’humanité éclairée par la foi au Christ, de prendre appui sur la promesse de la victoire définitive de l’amour sur le mal et de la vie sur la mort. Promesse libérant en chacun la puissance d’aimer qui seule, transforme le monde et oriente toute existence vers son terme ultime et bienheureux. Nul n’est obligé de le croire, et les défaillances historiques des chrétiens contredisent cette espérance. Mais le cours unique de notre vie doit sans cesse réinterroger notre cap choisi, c’est l’aventure spirituelle et le combat intérieur qui se joue en chacun auxquels nous n’osons plus initier les jeunes, les laissant succomber à la violence des jeux vidéos.

Les responsables politiques n’ont pas besoin des soupçons dont on les accable, mais plus surement que tous les encouragent à travers la haute estime que nous devons aux responsabilités qu’ils assument. C’est à cette condition de soutien et de renouveau de la vie spirituelle que la vie sera prise au sérieux et que renaîtra la confiance dans les institutions et les personnes qui veillent au bien de tous.

Père Laurent Stalla-Bourdillon

in Les billets de Laurent Stalla-Bourdillon

Directeur du Service Pastoral d’Etudes Politiques – Aumônier des parlementaires
publié le 25/04/2013 à 09:35 par LA VIE