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Le sens de l’histoire, dialectique de la haine ou espérance chrétienne

L’ambiguïté de la locution « sens de l’histoire » tient aux différentes définitions possibles du mot « sens ». En affirmant que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes », Marx fait de l’histoire une direction. Esclavagisme, féodalisme, capitalisme, socialisme, communisme sont, pour un marxiste, les étapes obligées de l’humanité en marche. Dans ce courant fatal de l’histoire, les événements sont nécessaires et la nature humaine est contingente : « L’histoire tout entière n’est qu’une transformation continue de la nature humaine », affirme Marx. L’homme ne sait pas qui il est – puisqu’il n’y a pas de nature humaine stable – mais il est censé savoir où il va – puisqu’il s’inscrit dans une histoire qui a une direction obligatoire. Il peut cependant jouer un rôle d’accélérateur de cette épopée révolutionnaire écrite d’avance, étant entendu que le moteur de cette histoire est la lutte des classes, cause et principe de tous les progrès. Cognez-vous les uns sur les autres, cela vous conduira vers les « lendemains qui chantent », la société sans classes.

A la haine entre les hommes, promue par le marxisme, le christianisme répond par l’Amour : « Toute l’histoire de l’humanité est l’histoire du besoin d’aimer et d’être aimé », nous enseigne Jean-Paul II. Et le sens de l’histoire n’est pas la prévision des événements qui doivent marquer la vie des hommes. Ceux-ci restent libres d’agir. Il existe une nature humaine stable, mais les événements humains, eux, sont contingents. Dans la conception chrétienne, dire que l’histoire a un sens veut dire qu’elle a une signification. Elle n’est pas une Révolution, elle est une Révélation.

Considérant l’homme et l’univers, Einstein s’écriait: « En apparence tout cela n’a aucun sens. Il est cependant impossible que cela n’en ait aucun! ». C’est à cette quête de sens que répond la Révélation chrétienne. L’homme créé par Dieu n’est pas laissé seul devant de gigantesques points d’interrogation: son origine et sa fin lui sont révélées. La Révélation chrétienne donne une signification à l’histoire humaine. Comme toute histoire, elle a un début – la Création -, un déroulement – la chute originelle, l’histoire du salut avec le Christ comme personnage central – et une fin – le jugement dernier et la vie éternelle. Cette vision de l’histoire n’est pas matérialiste. Si elle laisse à la science et à l’histoire le soin d’expliquer le comment des choses et des événements, elle explicite le pourquoi de l’existence. Cette question du pourquoi est le cœur de la conception chrétienne de l’histoire. Il importe de bien la comprendre.

Une parabole du Père Bruckberger peut y aider: « Il se trouve que j’ai chez moi une reproduction de Picasso représentant Don Quichotte et Sancho Pança sur leur monture respective, avec en fond les moulins à vent. Sur cette page blanche, il y a exactement trente huit taches d’encre, pas une de plus, pas une de moins. A votre choix, vous pouvez me déclarer: « Tiens, voilà le Don Quichotte de Picasso! » ou bien: »C’est une feuille de papier avec trente huit taches d’encre! ». Dans les deux cas, vous avez raison, et en plus, dans chacun des cas, votre discours sera irréfutable. Il reste pourtant une différence entre les deux propos. A qui m’affirmerait qu’il n’y a qu’une feuille de papier tachée d’encre et rien d’autre, il m’est impossible de prouver que c’est aussi un dessin de Picasso. Tandis que celui qui reconnaît que c’est un dessin de Picasso ne fera aucune difficulté pour convenir que c’est aussi un page tachée d’encre. La fermeture de l’esprit engendre l’intolérance, elle est réductionniste, c’est-à-dire mutilante du principal: aux taches d’encre, le dessin de Picasso ajoute le plus important, c’est-à-dire le sens. Mais si vous refusez d’admettre le sens, je suis dans l’impuissance de vous prouver qu’il existe ».

Cette parabole illustre la différence qui existe entre les deux conceptions de l’histoire. La conception chrétienne de l’histoire dit le pourquoi sans prétendre expliquer le comment. Le matérialisme marxiste ne répond pas à la question du pourquoi qui supposerait de reconnaître une transcendance et une vérité intangible. Il prétend, en revanche, dire le comment de l’évolution humaine dont il croit avoir percé la cause déterminante dans l’économie.

Avec la création répondant à un dessein d’amour et un jugement dernier comme entrée dans l’éternité, la conception chrétienne a un point de départ et une arrivée cohérents. L’histoire n’est ni absurde ni inepte, elle a du sens: l’homme est appelé à vivre de la vie divine en suivant Celui qui est « l’Alpha et l’Omega, le Premier et le Dernier, le Commencement et la Fin », Jésus Christ. On peut y croire ou ne pas y croire, mais le début et l’issue de cette histoire sont signifiants.

Pour le matérialisme, l’origine du monde est un premier problème insurmontable à un entendement rationnel: si l’origine de tout est la matière, comment celle-ci a-t-elle pu trouver en elle même, avant d’exister, la cause de son existence? La fin de l’histoire marxiste n’est pas moins problématique: en supposant que l’humanité arrive à la « société sans classes », quel serait alors le moteur de l’histoire puisque ipso facto disparaîtrait ce qui est censé l’être, la lutte des classes? Le marxisme n’apporte aucune explication à la destinée humaine. Il ne propose à l’homme, au terme d’une scandaleuse manipulation de l’histoire, que d’être un rouage dans la grande machine à haïr qu’est la lutte de classes.

L’Amour contre la haine

Car il s’agit bien de cela: haïr. La première page du Manifeste du Parti Communiste de Marx, publié en 1848, est une incitation à la haine de classes: « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue (…). Le caractère distinctif de notre époque bourgeoise, est d’avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées: la bourgeoisie et le prolétariat ». Il n’est donc d’Histoire que binaire, manichéenne et conflictuelle. La guerre civile est à la fois légitimée et programmée. La logique de crime de masse repose sur cette dénonciation explicite de l’ennemi de classe.

Lénine est plus explicite encore: « La guerre civile est la forme la plus aiguë de la lutte des classes, qui après une série de collisions et de batailles économiques et politiques, de plus en plus nombreuses et violentes, se transforme fatalement en une lutte armée de deux classes, l’une contre l’autre »[[Sur la route de l’Insurrection.]]. A vrai dire, ni Marx ni Engels n’étaient historiens et leur philosophie de l’histoire est loin d’être l’aboutissement d’une étude menée avec probité . Mais que leur importe! Le sens de l’histoire marxiste est une direction pour l’action révolutionnaire. Ils appellent cela « la praxis ». Dès l’instant où l’on vous dit quelle est l’orientation du courant inéluctable de l’histoire, vous connaissez d’avance le vainqueur des affrontements qui en sont le processus vital. Il vous est donc facile de vous placer d’emblée dans le camp de ceux qui savoureront la joie de la victoire.

En revanche, en refusant de vous inscrire dans le camp des gagnants de demain vous retardez l’avènement de ce jour radieux, attitude culpabilisante sinon coupable. Si, par une attitude plus insensée encore, vous vous inscrivez à contre-courant du mouvement révolutionnaire destiné à la libération de l’homme, c’est que vous êtes un ennemi du genre humain, un individu « antisocial » – ce qui mérite d’être mis hors d’état de nuire dans un quelconque Goulag – ou bien c’est que vous êtes dérangé – ce qui exige qu’on prenne soin de vous en hôpital psychiatrique. De toutes les façons, ce n’est pas impunément qu’on peut s’abstenir de ramer dans le sens de l’histoire.

« Dans cette perspective, expliquait Gustave Thibon,tous les sacrifices humains sont permis et exigés: pourvu que le char divin poursuive sa course lumineuse, qu’importent les êtres obscurs broyés par ses roues! Si en effet, tout le vrai et tout le bien résident dans l’avenir, les pires horreurs du présent se trouvent justifiées: est bon ce qui conduit à cet avenir, tout ce qui est conforme au sens de l’histoire ».

Le sens chrétien de l’histoire, pour ne pas être une direction visant à la domination temporelle du monde, n’en n’est pas moins une exhortation à se préoccuper activement et charitablement des cités concrètes et des hommes qui les peuplent. La participation à la vie divine qui donne du sens à son existence, l’homme n’est pas appelé à ne la vivre qu’au ciel. En vérité, sa vie bienheureuse sera la récompense méritée de cette participation vécue ici-bas, en croyant, en espérant et en aimant, la foi, l’espérance et la charité étant le sens profond de la vie humaine. En d’autres termes, la vie éternelle est l’accomplissement d’une vie divine commencée dans le temps. L’obligation est morale mais la coopération est volontaire. On est aux antipodes du totalitarisme policier.

Le Christ a d’ailleurs montré sa compassion pour l’humanité souffrante. Son Église, « experte en humanité », dit aux hommes comment vivre sur terre de la façon la plus authentiquement humaine. Elle fait même une obligation de s’occuper des affaires de la cité.

Le fondement de la « morale » marxiste, l’immoralité des faits

La vision que les communistes ont de l’histoire génère une conception particulière de la morale. Lénine l’explique ainsi dès 1920: »Nous disons que notre morale est entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte de classe du prolétariat. (…) Nous disons: est moral ce qui contribue à la destruction de l’ancienne société… ». Contrairement à ce qu’enseigne le christianisme, pour lequel existent une morale universelle et des personnes humaines également respectables, le marxisme ne prend en compte les hommes, non pour ce qu’ils sont en soi, mais uniquement pour leur rôle dans la lutte des classes. Grâce à elle, demain, l’Internationale communiste sera le genre humain. C’est écrit. C’est promis. Marx a compris le grand secret de l’histoire, et la promesse d’une si heureuse perspective légitime la persécution à l’encontre des « réactionnaires », des « contre-révolutionnaires », des « déviationnistes » ou simplement des contradicteurs, puisque tous tendent à empêcher ou même à retarder les inévitables mutations.

Le sens de l’histoire marxiste est dégoulinant du sang de l’homme. Il contient en lui même une dynamique totalitaire et exterminatrice. « Les menchéviks me disent: Permettez-nous de dialoguer avec vous et moi je leur dis:Permettez nous de vous coller au mur », raconte Lénine. Le tour d’esprit du communisme exterminateur résidait dans la persuasion que les « lendemains qui chantent » légitiment le présent qui hurle. Que ce soit sous la forme d’exécutions pures et simples, de déportations et de mort lente en camp de travail forcé ou de famines organisées, les crimes de masse du communisme ont été la conséquence d’une pseudo-morale greffée sur une pseudo-philosophie de l’histoire qu’on appelle le matérialisme dialectique. Crèvent les peuples plutôt que les principes. Telle est l’abjecte méthode révolutionnaire.

La morale chrétienne ne saurait s’accommoder de tels arrangements. Un extrait du Catéchisme suffiraà le démontrer : « Il n’est jamais permis de faire le mal pour qu’il en résulte un bien ». A fortiori, il n’est jamais permis de faire le mal au prétexte qu’il en résulterait un bien.

Le Christ au centre de l’Histoire

En voyant dans le Christ, vrai homme et vrai Dieu, l’événement essentiel de l’histoire, le christianisme donne à l’homme la première place. Le marxisme, lui, ne parle pas vraiment de l’homme; l’abstraction « humanité » suffit à ses analyses.

Pour le chrétien, l’homme c’est d’abord le prochain qu’il faut aimer. Pour le marxiste, la logique des rapports humains est essentiellement conflictuelle. Si les prolétaires de tous les pays doivent s’unir, ce n’est pas pour s’aimer mais pour déclencher la guerre civile. L’humanité est divisée en deux catégories: les opprimés qui doivent « faire front »; les oppresseurs qu’il faut mater ou éliminer.

Pour un chrétien, c’est la personne qui compte. Chacune est reconnue pour elle même, dans sa nature physique, sociale et spirituelle, également digne et aimée de Dieu. Pour un marxiste, la personne ne compte pas, ce sont les masses. Certes l’individu peut jouer un rôle dans l’histoire mais il est déterminé par l’infrastructure économique.

L’Homme nouveau dont parle le chrétien est celui qui retrouve sa vraie nature en mourant au péché qui justement a dénaturé son être. Il n’y a là rien de réducteur car la surnature vient accomplir la nature et non l’abolir.

L’Homme nouveau dont parle le matérialisme marxiste est l’homme mutilé de sa vraie nature sociale et spirituelle. Réduit à sa constitution matérielle, l’homme n’est plus qu’une force productive et une force de mouvement dans l’histoire.

Vous jugerez l’arbre à ses fruits

Le sens de l’histoire marxiste, non seulement s’est montré incapable d’expliquer le pourquoi de rien mais il s’est aussi lamentablement trompé sur le comment. Ce dernier point mérite qu’on s’y arrête un instant. Marx n’est pas ce penseur génial qui aurait su démêler de la forêt des événements historiques la synthèse qui en serait la clé. Sa philosophie de l’histoire ne renvoie pas à une connaissance exacte du passé. Elle est une manipulation à laquelle la science historique bien menée tord le cou. Parmi ses vices rédhibitoires, citons l’utilisation de définitions contestables – le concept de « classes » en particulier -, l’extrapolation abusive – le déterminisme mécaniste de l’histoire, l’interprétation stéréotypée – le postulat de la lutte des classes -, le parti-pris pur et simple – le primat de l’économie dans l’histoire des hommes.

Ce sont les faits eux-mêmes qui démentent les dogmes marxistes: il est attesté que l’infrastructure économique ne détermine pas absolument les superstructures – religion, politique, organisation sociale et juridique. Comme Jean-Paul II invite à le constater, l’histoire des sociétés humaines est consubstantiellement celle d’amitiés, de solidarités et de dévouements puissants. La lutte des classes est une généralisation abusive de faits bien souvent secondaires.

L’inanité de la vision marxiste est patente jusque dans l’histoire du mouvement révolutionnaire: la prise du pouvoir par les communistes ne s’est jamais déroulée dans les conditions ni selon le processus décrits par Marx pour la réussite d’une révolution prolétarienne.

La mythologie politique du sens de l’histoire marxiste a été la plus gigantesque escroquerie dont ait été victime l’espérance humaine. Entre rideau de fer et rideau de bambou, des peuples entiers et des générations successives ont été matraqués par cet assommoir de Trissotins lugubres. L’ »Ouest » a aussi été contaminé et certains continuent encore à ressasser, par paresse intellectuelle et en dépit de l’histoire véritable, les versets de la Vulgate marxiste. Cela passera.

Le sens chrétien de l’histoire a été ce que l’espérance humaine a connu de plus motivant pour l’amélioration de la vie sur Terre. Cela continuera.

Au regard des faits historiques les mieux établis, répertoriés et même chiffrés, le communisme, en dépit de quelques réussites genre « spoutniks », accuse un bilan très largement négatif. Le christianisme, en dépit de quelques excès, imputables aux erreurs des hommes et non aux principes, affiche un bilan extraordinairement positif. Le christianisme a semé l’amour. Le communisme a fait germer la haine et semé la mort. Sous la Croix, une vraie fraternité. Sous la faucille et le marteau, une fausse camaraderie.

Dans le sillage de l’Église, tout a fleuri[[La formule est de Jean Ousset. On lira avec profit sa démonstration dans la conférence de clôture du congrès de Paris, en1980.]]. Dans le sillage du matérialisme marxiste, tout a dépéri. Plus une société a été pétrie de christianisme, plus il a fait bon y vivre et la Civilisation y a marché d’un bon pas. Plus une société a vécu sous le communisme, plus le fiasco économique, la désolation sociale, la lourdeur culturelle, voire les tragédies humaines y ont été grandes, la Civilisation reculant du même pas.

Le sens de l’histoire marxiste a été une illusion mortifère. Le sens chrétien de l’histoire reste une espérance féconde.