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La laïcité dans le droit français

Extrait du permanence 423 – 424 – J.Hautebert

Telle que la Constitution la définit, la France est une République laïque dont les institutions sont directement inspirées par l’esprit de la loi de 1905. Parce que la communauté musulmane tend à revendiquer l’application de la charia pour elle-même, c’est aujourd’hui le principe même d’un droit applicable à tous qui se trouve en danger.

Le droit résulte toujours d’une certaine conception politique ou philosophique des relations entre le temporel et le spirituel. La définition juridique de la notion de laïcité s’inscrit dans ce cadre. La laïcité signifie que l’Etat et les diverses confessions religieuses. Etant donnée, historiquement, l’identité chrétienne de la France, cette séparation a surtout concerné l’Eglise catholique.

En vertu du principe de laïcité, chaque citoyen a le droit de régler sa vie suivant ses propres croyances et l’Etat ne peut pas s’ingérer dans ce domaine.

Un peu d’histoire

Notre situation actuelle dérive directement de la loi de 1905. Un rapide rappel historique s’avère nécessaire pour replacer cette loi dans son contexte intellectuel et politique.

La loi de 1905 a mis au Concordat signé le 10 messidor an 9, c’est-à-dire le 15 juillet 1801, entre Napoléon Bonaparte et le pape. L’Eglise catholique à la suite des évènements révolutionnaires est rétablie en France dans son unité en lien avec le Saint-Siège. Toutefois n’oublions pas que si le catholicisme devient la religion de la grande majorité des Français, l’objectif napoléonien n’est pas de satisfaire les désirs de l’Eglise, mais surtout de la contrôler.

Ainsi ce concordat satisfait les deux parties. Mais en fait, son aspect le plus positif est la reconnaissance institutionnelle de l’Eglise par l’Etat. C’est ce point que les républicains du début du XXème siècle vont chercher à remettre en cause.

Le XIXème siècle va connaître ce que l’on a appelé « le conflit des deux France » : l’âme de notre pays, pour les uns, est le catholicisme ; pour les autres, ce sont les principes révolutionnaires de 1789 tels qu’ils sont explicités dans la Déclaration des Droits du 26 août. Ce conflit des « deux France » fait pencher la balance tantôt du côté des catholiques, comme sous la Restauration, parfois au contraire plutôt du côté des révolutionnaires, comme sous la IIème République.

L’avènement de la IIIème république amènera au pouvoir des Républicains profondément opposés à l’Eglise ; c’est l’âme même de ce régime. Immédiatement le conflit avec l’Eglise va se cristalliser autour de l’Ecole – création de l’Ecole laïque et obligatoire entre 1879 et 1883 – ; par ailleurs, le divorce est rétabli par une loi du 27 juillet 1884 ; quelques années auparavant, l’autorisation de travailler le dimanche est accordée dans certains cas. On pourrait continuer l’énumération de ce genre d’exemples : ainsi une révision constitutionnelle du 14 août 1884 abroge les prières publiques lors de la rentrée des Chambres, en 1885, les facultés de théologie catholiques sont supprimées…

En 1905, c’est dans ce contexte de lutte ouverte contre l’Eglise, avec l’arrivée au pouvoir de Waldeck-Rousseau, puis d’Emile Combes, qu’est rédigé le projet de loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il est faux de considérer qu’il ne s’agissait alors que de trouver un nouveau système pluraliste de relations entre l’Etat et les religions ; la loi de 1905 de Séparation constitue en fait le couronnement du travail acharné des républicains depuis les années 1870. C’est une loi athée qui a pour but d’extirper du cœur des Français les fondements chrétiens de leur culture, de leurs mœurs et de leur vie politique.

C’est une loi anticatholique et Emile Combes, ancien séminariste, ne s’en n’est jamais caché. En guise de préambule, on commence par fermes 15000 écoles catholiques, puis on assiste à un refus systématique d’autorisation de création d’écoles et de congrégations ; 10000 écoles sont fermées à la rentrée de 1903, un député présente un rapport dans lequel il estime que les vœux d’obéissance des religieux entraînent l’abdication de leur liberté de penser. L’ « affaire des Fiches » dans l’armée fait tomber le gouvernement d’Emile Combes, mais Jaurès, Briand et Pressensé reprennent le flambeau et rédigent le texte d’une loi qui est votée le 9 décembre 1905.

Quel en est l’objectif ? Son article 2 le dit clairement : « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». L’Etat est explicitement séparé de toutes les religions et plus particulièrement de l’Eglise catholique. Un inventaire des biens de celle-ci est organisé dans le cadre de la loi qui prévoit qu’ils seront dorénavant dévolus aux pouvoirs publics. Il s’agit là d’une authentique spoliation.

A l’occasion des inventaires, la résistance d’une partie importante des catholiques s’organise qui conduit le gouvernement à employer l’armée ; de nombreux officiers refusent d’obéir, certains démissionnent, d’autres sont destitués d’autorité.

Pour sa part, le pape saint Pie X se montre d’une fermeté absolue : il refuse résolument d’entériner cette loi, pour deux raisons principales :

  • Premièrement, parce qu’il s’agit d’un acte unilatéral de l’Etat français, qui n’a tenu aucun compte de l’avis de l’Eglise alors qu’il s’agit précisément des relations entre l’Etat et l’Eglise.
  • Deuxièmement, parce qu’il ne saurait admettre le statut de ce que l’on appelle les « associations cultuelles », selon le texte de loi, les biens ecclésiastiques qui dorénavant sont dévolus aux pouvoirs publics peuvent être utilisés pour le culte, mais par le truchement d’associations de laïcs chargées de la gestion de ces biens. Cela qui implique que des laïcs pourront décider de l’utilisation des églises en lieu et place des évêques. C’est pour l’Etat une manière indirecte de s’ingérer dans les affaires de l’Eglise.

Cette disposition de la loi de 1905 remet en cause « la constitution divine de l’Eglise », laquelle implique qu’il n’appartient pas à l’Etat de s’ingérer dans le fonctionnement hiérarchique de l’institution ecclésiastique. L’attitude de Saint Pie X a obligé l’épiscopat français à agir de la même façon avec les conséquences que l’on connaît : l’Eglise a perdu des biens, il y a eu de très nombreuses spoliations ; mais il se trouve que cette inflexibilité pontificale, qui s’est accompagnée d’une rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican, a permis une évolution ultérieure du gouvernement français après le premier conflit mondial.

La guerre de 14-18 aura pour conséquence la destruction du dernier empire chrétien d’Europe, l’Autriche-Hongrie. Les principes révolutionnaires vont dorénavant dominer l’Europe. Mais, en France, l’union sacrée pour la défense de la patrie –incarnée par la complicité patriotique entre le catholique Foch et le socialiste franc-maçon Clemenceau – conduira les catholiques français à se battre courageusement aux côtés de leurs concitoyens républicains ; cette fraternité des armes améliorera les relations entre la République et les catholiques après la victoire.

Les relations diplomatiques reprennent leur cours normal dans les années 1920 et le nonce Cerreti rencontre Aristide Briand : un accord est assez rapidement trouvé. En vertu de cet accord, il est prévu que le pape nomme les évêques, mais le gouvernement français doit être consulté et donner son accord pour valider ce choix.

Par une encyclique de 1923, le pape Pie XI reconnaît l’existence des associations cultuelles, qui ne sont plus dirigées par des laïcs mais par l’évêque ; c’est le gouvernement français qui a changé sa position et non pas le Saint-Siège. L’Etat reconnaît l’évêque comme interlocuteur, suivant l’ordre hiérarchique normal de l’Eglise. Cette évolution est absolument capitale.

On a put craindre à un moment que la situation ne s’envenime à nouveau avec la victoire du Cartel des Gauches, Edouard Herriot ayant voulu rompre les relations diplomatiques avec l’Eglise et étendre à l’Alsace-Lorraine les lois anti-congrégations. Mis à part cet épisode sans conséquences, les relations sont correctes entre la république française et le Vatican dans l’entre deux-guerres.

En 1940, la France subit un échec militaire terrible qui amène au pouvoir le gouvernement de Vichy, lequel n’est pas très favorable à l’idée de laïcité. Toutefois, on n’assiste pas entre 1940 et 1944 à une remise en cause globale du principe. Il y a cependant quelques évolutions importantes : en particulier, l’abrogation de la loi du 7 juillet 1904 concernant les congrégations qui devaient nécessairement avoir l’autorisation du gouvernement et du Conseil d’Etat pour continuer d’exister. Abrogation qui explique en 1940 le retour de bon nombre de congrégations qui avaient dû quitter notre pays en 1905.

En 1944, lorsque le Gouvernement de Vichy est remplacé par un gouvernement provisoire qui va mettre en place la IVème République, ces dispositions concernant les congrégations religieuses ne font pas partie de la catégorie, je cite, « des actes de l’autorité de fait se disant gouvernement de l’Etat français, dont l’ordonnance du 29 août 1944 constate la nullité ».

Les années qui vont suivre la Seconde Guerre mondiale ne présentent pas de modifications profondes de la politique laïque et les relations avec l’Eglise ne sont pas trop mauvaises.

Il faut toutefois noter une évolution d’envergure : le principe de laïcité acquiert une dimension constitutionnelle. La constitution de la IVème République du 19 avril 1946 précise par son article 13 que « la liberté de conscience est garantie par la neutralité de l’Etat à l’égard de toutes les croyances et de tous les cultes. Elle est garantie notamment par la séparation des églises et de l’Etat ainsi que par la laïcité des pouvoirs et de l’enseignement public ».

Le texte de cet article est significatif pour deux raisons. Tout d’abord la notion de laïcité est explicitement citée. D’autre part, elle est considérée comme le corollaire de la liberté de conscience.

La Vème République va continuer sur cette lancée puisque le principe de laïcité se trouve également dans notre constitution actuelle.

L’article 2 de la constitution de la Vème République précise : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La laïcité est donc un élément de définition de notre République dont le principe est constitutionnalisé. L’esprit de nos institutions s’inscrit dans la lignée de la politique de 1905.

Le principe de laïcité adopté en 1905 a acquis une dimension constitutionnelle, ce qui représente pour ses partisans une victoire incontestable. Mais, dans le même temps, nombreux sont ceux qui estiment que ce principe aurait subi des adoucissements, des aménagements, qu’il se serait libéralisé…

Un laïcisme édulcoré ?

Le concept de « laïcité » peut avoir deux interprétations.

On peut tout d’abord considérer que la laïcité consiste à exclure le religieux de la sphère publique ; elle s’assimile alors à la neutralité de l’Etat qui ne reconnaît pas publiquement l’existence de Dieu. Par voie de conséquence, avec la négation du religieux, l’Etat nie également l’existence d’un ordre naturel qui s’impose aux volontés et lui substitue un ordre fondé sur la volonté des individus s’exprimant par la voie démocratique. D’une certaine façon, l’Etat se fait Dieu, puisqu’il est créateur.

Mais la laïcité peut être comprise dans un autre sens, qui n’est pas forcément opposé au précédent, mais démontre en tout cas des éovlutions possibles : la laïcité consisterait en la protection par l’Etat de la liberté de conscience de religion ; chacun pourrait pratiquer le culte qu’il veut, puisque chaque homme est libre de déterminer sa propre finalité. Mais qui dit pratique d’un culte, dit aussi existence d’un fait religieux qui peut se manifester dans la sphère publique.

On retrouve cette dualité dans la définition de l’enseignement laïc qui aurait lui aussi deux significations possibles :

  • soit l’enseignement laïc exclut le religieux en interdisant toutes ses manifestations ;
  • soit, au contraire, il accepte toutes les manifestations du fait religieux.

Les années 60-70donnet quand même la préférence à la seconde définition, c’est-à-dire à la liberté de conscience et à la liberté de manifester publiquement son appartenance religieuse.

Dans son ouvrage Evolution de la société depuis cent ans, Emile Poulat souligne cette évolution des mentalités, l’opposition des « deux France » caractéristique du XIXème siècle n’étant plus du tout d’actualité. La laïcité au début du XIXème siècle a constitué une révolution culturelle en France, mais cette même laïcité subit elle aussi, dans la seconde moitié du XXème siècle, une nouvelle révolution culturelle. Le principe de la laïcité ne serait pas remis en cause, mais il évoluerait.

René Rémond confirme, pour sa part, cette évolution du concept de laïcité qui aurait subi des changements importants sur le plan culturel, idéologique, politique et sur le plan juridique par le truchement de l’œuvre des magistrats et de la jurisprudence. Selon René Rémond, l’évolution du concept de laïcité serait due au fait que l’on passe de la société jacobine de la fin du XIXème et du début du XXème siècle à une société pluraliste. Ce pluralisme serait, selon René Rémond, une bonne chose pour la France.

Du même coup, le fait religieux acquière une dimension sociale reconnue. Il est aisé de trouver quelques exemples de cet aménagement de l’application du principe de la laïcité.

  • Ainsi, selon la loi de 1905, l’Etat ne subventionne aucun culte. Mais, si l’on tient compte de sa volonté de protéger la liberté de conscience, n’est-il pas tenu de donner à chaque individu des moyens d’exercer sa pratique religieuse ? Prenons ainsi l’exemple du catholicisme que l’Etat laïc a effectivement autorisé à ouvrir des aumôneries dans les établissements publics. Cela constitue effectivement une évolution par rapport à ce qu’elle connaissait dans les années 1900 – 1920.
  • Dans le même esprit, depuis quelques années, les dons à l’Eglise peuvent être déduits des impôts. De façon détournée, l’Etat finance l’Eglise.
  • D’autre part, les représentants des églises peuvent participer aux différents comités d’éthique, ce qui était impensable dans les années 1910.

Ces exemples laissent penser à beaucoup que la laïcité n’est plus le principe « laïcard » conquérant, querrier, athée que nous connaissions en 1905.

On peut citer aussi quelques décisions de justice assez récentes qui tendent à démontrer la prise en compte par les magistrats du fait religieux : je prends l’exemple du licenciement du sacristain homosexuel et séropositif de la paroisse de Saint-Nicolas ; cet homme a évidemment engagé une procédure et la Cour d’Appel de Paris a donné raison aux religieux en déclarant que « l’homosexualité est condamnée depuis toujours par l’Eglise catholique avec une radicalité qui ne s’est jamais démentie pour être radicalement contraire à la loi divine inscrite dans la nature humaine ». Cette décision de la Cour d’Appel implique que si une personne travaille dans une institution religieuse, elle doit accepter implicitement l’esprit de cette institution.

Allant dans le même sens, on peut citer un autre procès concernant le licenciement par un établissement catholique d’une enseignante divorcée et remariée. Là encore les juges ont donné raison à l’établissement scolaire pour le même motif.

Depuis les années 1960, la jurisprudence en France reconnaît l’existence de ce qu’elle appelle « une spécificité des entreprises dites de tendance » auxquelles se rattache une doctrine – la doctrine catholique – qui doit l’emporter, légitimement sur le respect d’une vie extra-professionnelle ;en principe, on ne peut pas licencier quelqu’un pour des raisons extra-professionnelle tenant à sa vie privée ; mais dans des entreprises dites « de tendance », c’est possible.

La distinction entre la sphère privée et la sphère publique n’est donc plus très nette et le juge se permet, plutôt que de déterminer très précisément ce qui est sphère privée et ce qui est sphère publique, d’estimer dans quelle mesure le fait religieux peut avoir une influence dans le domaine public.

Il semble donc vrai qu’aujourd’hui, avec l’accent mis sur le pluralisme, le concept de laïcité a considérablement évolué. La Cour Européenne des Droits de l’Homme fait d’ailleurs du pluralisme un élément de définition de la démocratie. L’Etat pluraliste est un Etat arbitre, conciliateur, garant d’un équilibre, mais qui n’impose pas une idéologie.

Il est à souligner que le mot laïcité n’existe pas dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Mais en revanche la liberté religieuse est prise en compte. Il en va de même pour la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales : l’article 9 porte sur la liberté religieuse, mais aucun article ne se réfère à un principe de laïcité. Le projet de Constitution Européenne ne dit pas un mot non plus sur la laïcité.

Ces quelques exemples de droit international ou communautaire sont assez significatifs : ils démontrent que la laïcisme est une fait très français que l’on ne retrouve dans aucun autre pays européen, ou du moins pas exprimés de la même façon.

La nouvelle donne de l’Islam

Cette laïcité typiquement française, qui au fil des décennies avait fini par « mettre de l’eau dans son vin », se trouve depuis quelques années confrontée à la présence de l’Islam, tardivement prise en considération. Cette religion n’existait pas en France en 1905.

Dans les années 1980, on s’est rendu compte que les musulmans vivant en France commençaient à manifester publiquement leur appartenance religieuse d’une manière qui pouvait entrer en conflit avec le principe de laïcité.

D’où la nécessité d’une réflexion juridique entamée par la démarche de Lionel Jospin demandant au Conseil d’Etat de statuer sur le port du voile dans les établissements scolaires. La juridiction suprême de l’ordre administratif s’est exécutée le 27 novembre 1989 en précisant que le port du voile relevait de la liberté religieuse mais qu’il fallait cependant qu’il ne soit pas arboré d’une manière ostentatoire, ce qui constituerait une démarche de provocation et de prosélytisme.

Cette décision du Conseil d’Etat procède de toute évidence de la seconde conception de la laïcité telle que nous l’avons définie.

Plusieurs décisions de justice du Conseil d’Etat vont dans ce même sens. C’est le cas de l’arrêt Kherouaa du 2 novembre 1992, qui affirme que « dans les établissements scolaires, le port par les élèves des signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation des croyances religieuses ».

Le 27 novembre 1996, le Conseil d’Etat annule des exclusions scolaires fondées sur le port du foulard ; il maintient par là sa ligne de conduite concernant la liberté religieuse. Son vice-président, Renaud Denoix de Saint Marc, le défendit en expliquant qu’il serait contraire à la laïcité de porter un jugement de valeur sur la religion : si l’Etat est neutre, il ne doit pas porter de jugement de valeur, même si selon nos principes démocratiques, le port du voile par les femmes est un signe de soumission.

La position est très claire : le port du voile ne doit pas en tant que tel conduire à une exclusion ou à des mesures disciplinaires. A la suite du Conseil d’Etat, rares sont les tribunaux qui, dans les années 1990, estiment que le port du hijab constitue un signe ostentatoire et prosélyte.

La loi du 15 mars 2004 a durci la position des pouvoirs publics ; il est prévu dans l’article 1 que « dans les écoles, les collèges, lest lycées publics le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». On peut considérer que c’est à peu près la reprise de ce que dit le Conseil d’Etat, mais cette loi intervient pour dire qu’il peut y avoir une procédure disciplinaire ; le règlement intérieur rappelle que « la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ». Ce qui signifie que la procédure disciplinaire est possible, C’est évidemment ce qui compte ici.

L’islam pose effectivement un problème et la législation actuelle ainsi que les décisions de justice concernent, avant tout, la question musulmane. D’autant que de nouveaux problèmes commencent à se poser : la mixité des piscines, par exemple.

D’autre part, si l’Etat français est réellement neutre, il doit accepter la création d’écoles musulmanes come il l’a fait pour les écoles catholiques. Dans le même esprit, les établissements scolaires délivrent des autorisations d’absences pour motif religieux ; ce qui risque de déboucher sur une sorte d’école à la carte où les élèves auraient des horaires de présence différents en fonction de leurs convictions religieuses… Ce serait la fin de l’unité scolaire, sorte de prémice à la fin de l’unité du rythme de vie social et à la fin de l’unité nationale.

L’islam de France

L’islam pose à la laïcité républicaine un problème que ne lui posent ni le catholicisme, ni le protestantisme, ni le judaïsme. Et cela parce que ses mœurs, ses mentalités culturelles, sociales et politiques sont hétérogènes par rapport à la civilisation occidentale.

Raison pour laquelle nos actuels gouvernants cherchent à promouvoir un islam occidentalisé, estimant probablement que si l’Eglise catholique a été capable de s’accommoder de la laïcité républicaine, l’islam peut bien en faire autant.

Dans cette perspective et confronté à l’absence de hiérarchie représentative des musulmans, notre Etat laïc et neutre va jusqu’à prendre l’initiative de la création d’une sorte d’institution de l’islam de France, de la même manière qu’il avait tenté en 1905 de s’ingérer dans l’organisation interne de l’Eglise catholique.

Le droit musulman découle directement du Coran. Mais il y a une confusion entre le spirituel et le temporel au sein de l’Islam, ce qui est essentiel à savoir pour comprendre l’attitude de la communauté musulmane, en France ou ailleurs. Les musulmans demandent pour eux, et pour eux seulement, l’application de la charia, de la loi islamique. Le droit musulman relève du principe de la personnalité des lois (ou personnalité du droit) ; c’est-à-dire que ce droit n’est valable que pour les membres de l’oumma, la communauté des croyants. Ainsi dans les pays musulmans, un musulman a droit à quatre femmes, mais un non-musulman se doit d’être monogame.

Autant dire que dans les pays occidentaux les musulmans tendent vers le communautarisme, qui débouche lui-même sur un éclatement juridique, sur la disparition de l’unité même du droit, de la territorialité du droit.

En principe, le droit français s’applique, lui, pour tous les citoyens français, sans exception. Mais en raison de l’effet conjugué du respect par la laïcité de l’Etat de tous les comportements religieux et de la volonté communautariste des Français musulmans, le risque est de plus en plus important de voir disparaître le principe d’un droit applicable à tous.

Si nous n’y prenons pas garde, nous risquons de nous trouver dans une situation juridique nouvelle, avec, certes, des lois territoriales, mais aussi des règles valables pour certains, en fonction de catégories religieuses : droit musulman pour les musulmans, droit civil pour les autres, et pourquoi pas, le droit catholique pour les catholiques… Situation qui correspond de fait à un éclatement radical de la société.

Comment réagit l’Etat face à l’Islam ?

La loi du 15 mars 2004, qui s’attaque en fait au prosélytisme religieux, notamment islamique, a donné lieu à bien des débats et même à des manifestations publiques. C’est pourquoi il faut revenir un instant sur le Rapport Stasi, fait à la demande du Président de la République, Jacques Chirac, et concernant ce problème de la laïcité.

Les rapporteurs ont une conception de la laïcité qui renvoie directement à la loi de 1905, à son caractère militant, et à une laïcité considérée comme une valeur. « La France, est-il dit dans ce Rapport, a érigé la laïcité au rang de valeur fondatrice ». Cette valeur, est-il dit encore, doit être intransigeante dans l’application des principes de la République… ». La République est ici considérée comme une religion puisqu’elle engendre des « valeurs » et que l’on parle de « vertus républicaines ». Mais ces vertus républicaines sont « respectueuses de toutes les croyances religieuses et philosophiques… ». Le Rapport Stasi utilise un vocabulaire très intéressant ; il y est dit, par exemple, que les religions sont des options ; autant dire qu’à côté des principes républicains intangibles de laïcité, il y a des options facultatives : l’option catholique, l’option musulman, l’option franc-maçon, l’option libre-penseur, etc.

De plus, le Rapport Stasi donne cette interprétation de la liberté de conscience : « la défense de la liberté de conscience individuelle contre tout prosélytisme, vient aujourd’hui compléter les notions de séparation et de neutralité, centrales dans la loi de 1905 ». « Contre tout prosélytisme », c’est-à-dire contre le prosélytisme religieux, pas contre le prosélytisme des vertus républicaines, bien sûr. L’objectif de la laïcité est aujourd’hui de protéger les individus contre toute menace d’intrusion du fait religieux dans l’espace public.

L’on retrouve bien ici la neutralité considérée comme la promotion de valuers ou de pseudo-valeurs qui rejettent par définition toute référence à un ordre naturel et toute référence religieuse.

Dans la République française, il existe à la fois un domaine public, avec des principes républicains obligatoires, et une sphère privée où peuvent exister toutes les coryances possibles et imaginables.

Il s’agit de l’application pure et simple de la religion civile telle que l’entendait Jean-Jacques Rousseau. Il l’explique fort bien dans le Contrat Social : il y a les religions du for interne et la religion du for externe. Les religions du for interne sont celles auxquelles chacun peut croire car les citoyens sont libres de croire à ce qu’ils veulent, mais à condition que ces religions n’aient aucune influence dans le domaine public et sur les institutions. En revanche, il est jugé important, pour le maintien de l’ordre public que les gens croient en quelque chose. Comme disait cyniquement Voltaire : « si mes paysans ne croient pas qu’il y a un jugement éternel, il vont voler mon vin et mon foin ». La religion civile est donc considérée comme un culte obligatoire. Que l’on songe, sous la Révolution française, au culte de l’Etre suprême auquel il ne faisait pas bon se soustraire.

L’ère républicaine, en France, a l’ambition de mettre fin à l’ère chrétienne. Cette conception de la République est vraiment une spécificité française : à l’ère républicaine, on change de fondements et de valeurs. L’on retrouve cette disposition idéologique dans le Rapport Stasi…

Bernard Stasi va encore plus loin : il estime que c’est aux religions de faire des efforts pour s’adapter au cadre républicain puisque la République incarne les valeurs suprêmes, et qu’il est évident que certaines religions peuvent être incompatibles avec celles-ci.

« Lorsqu’une religion a une visée universelle, embrasse l’au-delà comme l’ici-bas (il s’agit évidemment des grandes religions comme le catholicisme et l’islam), il lui est malaisé d’accepter de séparer l »un de l’autre (le spirituel et le temporel) ; de fait, la laïcité exige un effort d’interprétation pour concilier le dogme religieux et les lois qui régissent la société, conciliation indispensable à la qualité du vivre ensemble ». Ce qui signifie que l’Etat français se permet de demander aux religions de réinterpréter leurs dogmes pour s’adapter au cadre républicain.

Telle est la conception de la laïcité défendue aujourd’hui par l’Etat. Celle-ci engendre un certain nombre de conséquences.

La laïcité et ses corollaires

Il existe une relation étroite entre la laïcité française et ce qu’on appelle la modernité politique, idée selon laquelle l’homme est autonome à l’égard de toute autre institution, de toute religion, mais également à l’égard de tout ordre naturel. C’est la logique du contrat social : l’homme crée la société, parce que l’homme est créateur de tout et il ne doit pas accepter l’existence d’un ordre s’imposant à sa volonté. La modernité politique se définit comme l’émancipation de l’individu qui prend finalement la place de Dieu. Elle apparaît au début du XVIIIè siècle et l’emporte politiquement à la fin de ce siècle. Elle conduit à la sacralisation de l’individu avec deux conséquences principales :

–       La sacralisation de l’Etat. L’Etat est la création d’individus sacrés qui transfèrent leur sacralité à tout ce qu’ils créent ; le grand vainqueur de la modernité, c’est l’Etat. Ce n’est pas un hasard si au XIXe siècle l’on assiste à l’apparition des Etats-nations qui se combattent. Cette sacralisation de l’Etat engendre l’idéologie qui la justifie et l’on assiste à l’apparition des religions politiques. En France, on hésite à employer ce terme de « religions politiques », mais il est communément utilisé dans les autres pays européens.

–       L’ « anarchie libérale ». Il n’y a qu’une différence de degré entre le libéralisme et l’anarchie et non une différence de nature. Pour le libéralisme seul compte l’individu ; en développant cette logique jusqu’au bout, il faut rejeter toute institution, toute règle et l’individu étant maître de lui-même doit refuser toutes autorité.

Dans les deux cas de figure les conséquences de la modernité politique sont néfastes pour l’harmonie sociale. D’une façon générale, dans le fonctionnement de notre système politique on trouve soit la mise en avant du premier point, soit du second. La sacralisation de l’Etat qui engendre des valeurs, c’est la laïcité athée. La mise en avant de l’individu libre de penser et de faire ce qu’il veut, c’est la négation de l’idée d’une morale naturelle.

Si cette conception de la laïcité est française, elle a toutefois une influence au niveau européen. Que l’on se souvienne ici de l’affaire récente de l’Italien Rocco Buttiglione, renvoyé de la commission européenne de façon absolument scandaleuse. Cet homme a été condamné avant d’avoir agi pour le seul motif qu’il pensait mal ; c’est l’application, au niveau européen, de ce principe de laïcité combattante.

Il faut bien comprendre que le pluralisme religieux est nécessaire dans une société libérale. Ce n’est sans doute pas pour rien que l’on a laissé l’islam s’implanter aussi facilement en France. Il constitue une façon à peine déguisée de contrecarrer en toute influence catholique, en permettant de renvoyer toutes les religions dos à dos et de toutes les cantonnes dans la sphère privée.

D’autant que la « laïcité ouverte » telle qu’on la connaît depuis les années 60 s’explique très probablement parce que le poids du catholicisme en France s’est amenuisé très régulièrement, le « danger » que représente l’Eglise pour la République laïciste française devenant ainsi très mineur. D’où la possibilité pour l’Etat de faire des concessions sans danger.

Mais à présent, la laïcité est sur la défensive : même si le catholicisme a perdu beaucoup de son autorité, on ne peut pas dire que les idéologies laïques mobilisent les foules. Nous sommes dans une époque que certains qualifient de désenchantement du monde ; on parlait de désenchantement du monde pour signifier le recul des religions. Mais il concerne aussi les idéologies : le marxisme ne fait plus recette, rien ne fait recette et nous entrons d’après certains dans l’ère de la post-modernité.

La modernité serait l’âge de l’enfance d’un homme dorénavant souverain, raison pour laquelle l’on a vu se développer pléthore d’idéologies qui, au Xxe siècle, ont eu les conséquences que l’on sait.

A présent, l’homme serait adulte. Luc Ferry, ancien ministre de l’Education nationale, estime que maintenant, les gens ne croient plus en rien et c’est très bien, parce que vraiment l’homme est autonome. Mais il y a un revers à la médaille de cette post-modernité. L’Occident, qui aujourd’hui est attaqué par l’islam, ne croit plus en rien, d’où son extrême vulnérabilité.

Les catholiques face à ces réalités

Le problème essentiel aujourd’hui pour les catholiques réside dans le délicate conciliation entre le maintien de principes qui ont un caractère absolu et la prudence politique : il faut savoir adapter des principes à la situation du moment, sans abandonner les principes !

Ces derniers sont très simples : le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde, mais il s’applique sur ce monde. Le Christ-Roi règne sur les âmes, mais également sur les nations et puisque Dieu est le Créateur, il faut respecter la loi du Créateur. Il y a donc un ordre naturel à respecter. Cet ordre naturel s’impose aux volontés et, comme les institutions publiques ont nécessairement, par nature, une influence sur les âmes individuelles, il importe que la législation, l’esprit public se réfèrent à l’ordre moral chrétien, à l’ordre moral tout court qui est accessible à la raison.

L’histoire nous apprend que cet ordre n’a été respecté dans sa plénitude que lorsque l’Etat acceptait d’être lié par l’enseignement moral de l’Eglise. Il y a donc forcément un lien entre le respect de l’ordre naturel et la soumission à l’enseignement moral de l’Eglise catholique.

Ces principes doivent être enseignés sans compromission, afin que les catholiques sachent clairement pourquoi ils agissent. En revanche, la revendication sur le terrain public doit tenir compte des impératifs de la prudence politique.

Si l’on se base sur les chiffres les plus récents, le nombre des catholiques pratiquants allant à la messe tous les dimanches est de 4%. 7% des français s’y rendent une fois par mois. Alors qu’il y a entre 60% et 70% de Français qui se déclarent encore catholiques. Il faut être conscient de cette faiblesse.

D’où la nécessité, par souci d’efficacité, de se battre pour la royauté de Notre Seigneur, bien sûr, mais en passant par la revendication du respect absolu de la loi naturelle.

C’est d’ailleurs la position du Vatican, qui demande qu’on reconnaisse l’Eglise en tant que simple interlocuteur des Etats, mais demande en revanche le respect absolu de la loi morale naturelle accessible à la raison, donc accessible aux hommes.

L’ordre naturel ne dépend pas des volontés et il faut savoir en exiger le respect dans le domaine de la famille, par exemple, ce qui aujourd’hui est capital au même titre que dans le domaine de la vie. La revendication, aujourd’hui, d’un retour à un système de distinction entre l’Etat et l’Eglise en France, tel qu’il a existé autrefois me semble totalement inopportun. En revanche, il faut systématiquement rappeler ce caractère absolu de la loi naturelle.

Il faut savoir travailler au service du principe tout en tenant compte de la réalité. Prenons l’exemple du pluralisme. Le pluralisme ne saurait en aucun cas être considéré comme un bien, même si l’on entend souvent dire : « nous vivons dans une société pluraliste et c’est très bien, parce que les gens pensent différemment ce qui est un enrichissement pour tous ». Car cette affirmation est une erreur. L’enrichissement suppose le partage et celui-ci est impossible dans une société où chacun vit dans son coin. Le pluralisme conduit nécessairement au communautarisme.

Tous les grands penseurs, depuis l’Antiquité, l’ont constaté, à commencer par Aristote : l’unité d’une société suppose l’existence de biens communs, de valeurs vécues en commun. Ce qui n’est pas le cas d’une société pluraliste qui tend à devenir une non-société. Ceci dit, le pluralisme est aujourd’hui une situation de fait que l’on ne peut nier et dont il est obligatoire de tenir compte pour mener une action efficace. Dans l’état actuel des choses, il semble plutôt opportun de défendre un statu quo concernant la laïcité en essayant toutefois de promouvoir la dimension chrétienne de notre civilisation. Mais il ne s’agit, en aucun cas, d’accepter de mettre sur le même pied toutes les religions.

Ceci est capital, surtout en France, et de manière générale en Europe. Statu quo par conséquent, mais revendication d’une place privilégiée, liée tout simplement à l’histoire, pour notre religion qui est la religion du Dieu seul et unique.

Attitude qui, d’une certaine façon, reprend celle de Sieyès à la veille de la Révolution Française, dans son petit opuscule Qu’est-ce que le Tiers-état ?: « Qu’est-ce que le tiers-état ? – Tout. Qu’est-ce qu’il est concrètement ? – Rien. Que demande-t-il ? – Simplement à devenir quelque chose ».

A leur tour les catholiques français pourraient dire : « Qu’est-ce que l’Eglise ? – Jésus-Christ répandu et communiqué.. Qu’est-elle aujourd’hui en France ? – Rien. Que demandons nous ? – Nous demandons simplement quelque chose : la liberté d’expression dans l’espace public, de formation pour nos enfants et la reconnaissance de notre responsabilité première dans la constitution de l’identité nationale ».

Cela peut paraître peu de chose, mais ce « peu de choses » est indispensable pour protéger les fondements d’une reconquête, c’est-à-dire les écoles, la liberté du culte et notre présence dans toutes les institutions qui permettent la formation des futurs citoyens.

En effet, « le destin d’une société dépend d’une minorité capable de créer », soulignait récemment celui qui était encore le cardinal Ratzinger. « Les chrétiens croyants devraient se considérer comme constituant une telle minorité active, et contribuer ainsi à ce que l’Europe retrouve le meilleur de son héritage »*. Voilà notre vocation, ici et maintenant. L’appréciation politique actuelle de notre position vis-à-vis de la laïcité en découle directement.

* : Cardinal Joseph Ratzinger, l’Europe, ses fondements, aujourd’hui et demain, Editions Saint-Augustin, 2005, p37.