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Faut-il rebâtir la chrétienté ?

Au mois de décembre dernier, devant six cents séminaristes français réunis à Paris pour un temps d’enseignement et de partage, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, a été interpellé par l’un d’eux : « L’Église de France a-t-elle un problème avec les traditionalistes ? » Réponse de celui qui est aussi archevêque de Reims : « Oui. Oui, sans doute en raison de notre histoire mouvementée depuis la Révolution. S’il y a une question centrale, c’est une question de théologie politique et de rapport au monde. Le décret de Vatican II sur la liberté religieuse est très clair. Le Christ n’est pas venu bâtir des nations catholiques mais Il est venu fonder l’Église. Ce n’est pas la même chose. À force de traîner la nostalgie d’un État catholique, on perd notre énergie pour l’évangélisation. »

Que penser d’un tel propos dont on ne connaît malheureusement pas le contexte, seules la question du séminariste et la réponse de l’archevêque ayant été retranscrites sur internet (1) ?

Le rôle de la politique

Dans La cité de Dieu, saint Augustin a clairement distingué les plans politique et eschatologique : la cité de Dieu ne pourra être pleinement édifiée en ce monde car elle est d’un autre ordre. Elle reste un horizon inatteignable qui disqualifie tout État prétendant l’incarner parfaitement. Car le christianisme n’est pas un programme que l’on peut épuiser sur terre mais une tension infinie qui se déploie dans le monde en trouvant au ciel son plein accomplissement. « L’ordre politique n’a pas vocation à transposer sur terre le royaume de Dieu à venir, expliquait, il y a quelques années, la Commission théologique internationale. Il peut l’anticiper par ses avancées dans le domaine de la justice, de la solidarité et de la paix. Il ne saurait vouloir l’instaurer par la contrainte » (2). En effet, vouloir faire advenir le royaume de Dieu par la contrainte étatique pourrait dénaturer l’œuvre de Dieu qui se répand par l’attraction qu’exerce la grâce divine dans les cœurs : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité », rappelle la déclaration Dignitatis Humanae (DH) du concile Vatican II (n. 1). C’est pourquoi, la cité de Dieu ne peut être édifiée selon les modalités de ce monde.
Il y aurait donc une mauvaise manière de défendre la chrétienté, celle qui en fait une idole et la coupe des réalités plus hautes en la con­fondant avec le royaume de Dieu. Est-ce cela que l’archevêque avait en tête dans sa réponse et qu’il impute – abusivement à notre sens – au monde traditionaliste ?
Ce faisant, il omet de préciser que si la politique n’est pas une fin en soi, elle reste un moyen indispensable à l’édification de ce que Jean-Paul II appelait « la civilisation de l’amour ». L’homme étant pétri par la société dans laquelle il vit, il est fondamental que celle-ci puisse le tirer vers le haut, sur le plan naturel comme surnaturel, comme le soulignait le pape Pie XII : « De la forme donnée à la société, en harmonie ou non avec les lois divines, dépend et s’infiltre le bien ou le mal des âmes », le fait de respirer « l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales, ou le microbe morbide et souvent mortel de l’erreur et de la dépravation » (3). Il incombe d’ailleurs aux laïcs catholiques de participer à la vie politique afin de « promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun », ajoutait Jean-Paul II, ce qui contribue indirectement à l’évangélisation (4).
De plus, la déclaration Dignitatis Humanae n’interdit nullement d’édifier des États catholiques comme l’archevêque semble l’entendre, elle se contente d’exiger que, en pareil cas, l’on respecte la liberté religieuse des citoyens professant d’autres religions (cf. DH 6).
Enfin, il faut se défaire d’une image purement juridique de l’État chrétien et réfléchir moins en termes de statut institutionnel pour l’Église que d’inspiration philosophique pour l’État, lequel ne peut s’affranchir d’une vision chrétienne de l’homme et de la société sans servir des idéologies mortifères. « C’est la mission spirituelle de l’Église qui doit être aidée, affirme Jacques Maritain, non la puissance politique ou les avantages temporels auxquels tels ou tels de ses membres pourraient prétendre en son nom » (5). Cette chrétienté-là demeure, à notre avis, parfaitement légitime, reste à en adapter les modalités en fonction des spécificités de notre époque : c’est la tâche qui nous incombe aujourd’hui.

Benoît Dumoulin

(1) Riposte catholique, 3 décembre 2023.
(2) Commission théologique internationale, À la recherche d’une éthique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle, 2009.
(3) Pie XII, radio-message du 1er juin 1941 pour le 50e anniversaire de Rerum novarum, n. 5.
(4) Jean-Paul II, Christi fideles laici, 1988, n. 42.
(5) Jacques Maritain, Les droits de l’homme et la loi naturelle, 1942.