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« Dieu, le mal et l’histoire » : Pierre de Lauzun répond à nos questions

Pierre de Lauzun, essayiste et écrivain, publie Dieu, le mal et l’histoire, aux éditions Pierre Téqui. Dans cet essai profond et synthétique, il confronte la réalité de la bonté infinie de Dieu avec celle, scandaleuse, de la présence du mal dans le monde.

 

Ichtus : Le mal est un scandale et son existence semble contraire à la toute-puissance et à l’infinie bonté de Dieu. Comment maintenir les trois ensemble (Dieu est tout puissant, infiniment bon mais tolère l’existence du mal) et donc une théodicée ?

Pierre de Lauzun : C’est bien sûr un des points majeurs du livre. Pour résumer, philosophiquement le mal physique résulte de la limitation intrinsèque de la matière, le mal moral de la liberté des êtres spirituels (l’homme et l’ange). Mais Dieu n’abandonne pas le monde aux choix malheureux de ses créatures : Il tire constamment d’un mal donné un bien. Il faut donc voir les choses dans le déroulement du temps : le péché d’Adam, mauvais en soi, a conduit au salut apporté par le Christ, inespéré. En outre, non seulement Dieu intervient dans le cours du temps pour tirer le flux des éléments dans le sens du bien, mais Il a assumé lui-même tout le mal du monde, dans l’Incarnation, la mort sur la Croix et la Rédemption qui s’en est suivie. A côté des données philosophiques et théologiques, la réponse personnelle la plus pertinente à la question du mal est donc la prière : l’appel à ce Dieu qui a pris le mal sur lui et est seul capable de nous en libérer véritablement.

 

I : Pensez-vous que le scandale du mal soit la raison essentielle de l’incroyance aujourd’hui ? L’absence supposée de Dieu explique-t-elle un tel désarroi dans les consciences collectives ? La Shoah fut-elle à ce titre un traumatisme comparable à celui que fut dans les mentalités du XVIIIe le désastre de Lisbonne en 1756 ?

P. de L. : Le développement de l’incroyance date en gros du XVIIe siècle ; un premier facteur en ce sens a été le scandale des guerres de religions entre chrétiens. Mais ce qui a joué le rôle principal est cette forme de pensée, ce paradigme structurant la pensée, qui a partir de cette époque a conduit à ne plus chercher le bien et le vrai en soi, mais à les relativiser, à imaginer un homme ‘émancipé’ se déterminant lui-même, et à ne chercher de solution que dans l’homme et sa science, supposés fournir les seules réponses à notre portée. Il est clair que si on n’invoque plus Dieu, on peut facilement conclure à son silence et par là à son inexistence. Et on ne perçoit plus le désastre de Lisbonne comme la Shoah que dans cette perspective. Par la suite, l’accélération marquée de l’incroyance, constatée à partir des années 1960-70, est reliée directement à la révolution des mœurs comme à l’explosion de la consommation : c’est le même détournement du regard et du cœur.

 

I : Peut-on postuler que la mort est un phénomène naturel pour l’homme ou faut-il croire qu’elle est la conséquence du péché qui a introduit le mal dans le monde ? Quelle est votre opinion à ce sujet ?

P. de L. : Dans le monde tel qu’il existe sous nos yeux, la mort touche tous les êtres vivants ; c’est un phénomène naturel, et cela semble-t-il dès les origines. Le péché originel est alors la fin d’une position particulière à Adam et Eve qui en étaient protégés par leur rapport direct avec Dieu. Cela dit, on peut s’interroger sur l’influence qu’a eu sur la destinée de notre monde le péché de l’ange, qui le premier a introduit le mal dans ce monde. On peut imaginer alors qu’au préalable ce dernier était conçu très différent, et par exemple sans la mort ; mais dans ce cas il était très différent de celui que nous connaissons.

 

I : Dans sa théodicée, Leibniz présente le mal comme une question de perspective. Ce que les hommes perçoivent comme un mal peut s’avérer être un bien en le considérant d’un autre point de vue, ce qui revient à nier l’existence du mal : « Toutes les fois qu’une chose nous paraît répréhensible dans les œuvres de Dieu, il faut juger que nous ne la connaissons pas assez et croire qu’un sage, qui la comprendrait, jugerait qu’on ne peut même souhaiter rien de meilleur ». En effet, les hommes ignorent le plan global de Dieu qui est bon. Que pensez-vous de cette théorie ?

P. de L. : Leibniz est aussi un mathématicien et il tend à trop décrire les réalités selon une logique formelle de type mathématique. Il est vrai que Dieu « optimise » les choses, les oriente vers leur plus grand bien, notamment en tirant toujours un bien d’un mal. Mais pour dire que nous sommes dans le meilleur des mondes possibles, il faut mettre entre parenthèses le rôle majeur qu’y joue la liberté, celle des hommes et originellement celle des anges. Notre monde est certainement le meilleur possible compte tenu des choix libres qui y ont été, y sont et y seront faits ; mais si ces choix libres avaient été différents, les données de l’optimisation auraient été différentes, et on peut imaginer qu’il aurait pu être encore meilleur. C’est bien pourquoi notre responsabilité face au bien et au mal est immense : c’est elle qui en définitive oriente le destin du monde dans un sens meilleur ou moins bon, dans un cadre que de toute façon la Providence oriente décisivement vers le bien.

 

I : Pensez-vous que nous soyons sortis de la perspective d’un sens de l’histoire conçu sur un mode progressiste comme la progression inexorable de l’instauration de droits individuels et communautaires au détriment du bien commun ? Pensez-vous que ce sens de l’histoire soit un travestissement profane du sens chrétien de l’histoire ?

P. de L. : L’idée progressiste du sens de l’histoire a perdu de sa superbe, mais reste très prégnante ; d’où des façons de parler courantes comme : comment peut-on dire ou faire cela en 2023 ? Ou : c’est un retour au Moyen Age etc. Et dans la pratique sociale l’individualisme tend à gagner sur le sens de la responsabilité et l’orientation vers le bien commun. Mais dans la réalité, il n’y a pas de sens de l’histoire à proprement parler. Il y a tout au plus une flèche du temps qui fait que l’après est différent de l’avant et qu’on peut avoir des progrès cumulatifs si une catastrophe ne vient pas les interrompre. Mais ce progrès relatif se vérifie plus dans les sciences ou les techniques, éventuellement dans l’organisation collective, que dans le sens moral profond, et moins encore dans la qualité humaine des personnes et de la société. Le christianisme a (à la suite de la révélation biblique) a introduit la notion d’un temps qui n’est plus circulaire ou aléatoire mais linéaire, allant vers une fin ; d’où l’importance de l’histoire, dans laquelle se joue le destin de l’humanité ; mais que l’histoire ait une signification ne veut pas dire qu’elle ait un sens, une direction, encore moins prévisibles. Le sens plein de l’histoire, sa vraie signification, ne sera révélé qu’à la fin – comme l’est d’ailleurs à son niveau le sens de chaque vie humaine.

 

 

Dieu, le mal et l’histoire, Pierre de Lauzun, Pierre Téqui Editeur, 200p., 18€.