Contactez Ichtus

L’équipe vous répondra sous peu

Contact

  • Nous suivre :

17/17 – La loi naturelle est-elle étrangère à l’ordre de la grâce ?

La loi naturelle est une expression de la raison commune à tous les hommes et peut être présentée de façon cohérente et vraie au plan philosophique, elle n’est pas étrangère à l’ordre de la grâce.

La grâce ne détruit pas la nature mais elle la guérit, la conforte et la porte à son plein accomplissement.  Les exigences de la loi naturelle demeurent présentes et agissantes dans les différents états théologiques que traverse une humanité engagée dans l’histoire du salut.

Le dessein de salut dont le Père éternel a l’initiative se réalise par la mission du Fils qui donne aux hommes la Loi nouvelle, la Loi de l’Évangile, qui consiste principalement dans la grâce de l’Esprit saint agissant dans le cœur des croyants pour les sanctifier. La Loi nouvelle vise avant tout à procurer aux hommes la participation à la communion trinitaire des personnes divines, mais, en même temps, elle assume et réalise de façon éminente la loi naturelle. D’une part, elle en rappelle clairement les exigences qui peuvent être obscurcies par le péché et par l’ignorance. D’autre part, en les affranchissant de la loi du péché qui fait que « vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir » (Rm 7, 18), elle donne aux hommes la capacité effective de surmonter leur égoïsme pour mettre pleinement en œuvre les exigences humanisantes de la loi naturelle.

  • Notre Seigneur Jésus Christ, le Logos incarné est la Loi vivante

Grâce à la lumière naturelle de leur raison, qui est une participation à la Lumière divine, les hommes sont capables de scruter l’ordre intelligible de l’univers pour y découvrir l’expression de la sagesse, de la beauté et de la bonté du Créateur. A partir de cette connaissance, il leur appartient de s’insérer dans cet ordre par leur agir moral. Or, en vertu d’un regard plus profond sur le dessein de Dieu dont l’acte créateur est le prélude, l’Écriture enseigne aux croyants que ce monde a été créé dans, par et pour le Logos, le Verbe de Dieu, le Fils bien-aimé du Père, la Sagesse incréée, et qu’il a en Lui sa vie et sa subsistance. Le Logos est donc la clé de la création. L’homme, créé à l’image de Dieu, porte en lui une empreinte toute spéciale de ce Logos personnel. Aussi a-t-il vocation à être conformé et assimilé au Fils, « aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29).

Mais, par le péché, l’homme a fait un mauvais usage de sa liberté et il s’est détourné de la source de la sagesse. Ce faisant, il a faussé la perception qu’il pouvait avoir de l’ordre objectif des choses, même au plan naturel. Les hommes, sachant que leurs œuvres sont mauvaises, haïssent la lumière et ils élaborent de fausses théories pour justifier leurs péchés. Aussi l’image de Dieu dans l’homme est-elle gravement obscurcie. Même si leur nature les renvoie encore à un accomplissement en Dieu au-delà d’eux-mêmes (la créature ne peut à ce point se pervertir qu’elle ne perçoive plus les témoignages que le Créateur se rend dans la création), les hommes sont de fait atteint si gravement par le péché qu’ils méconnaissent le sens profond du monde et l’interprètent en termes de plaisir, d’argent ou de pouvoir.

Par son incarnation salvifique, le Logos, assumant une nature humaine, a restauré l’image de Dieu et il a rendu l’homme à lui-même. Ainsi Jésus-Christ, Nouvel Adam, conduit à son achèvement le dessein originel du Père sur l’homme et, par le fait même, révèle l’homme à lui-même : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de Celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. […]. ‘Image du Dieu invisible’ (Col. 1, 15), Il est l’Homme parfait qui a restauré dans la descendance d’Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu’en Lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale »». En sa personne, Jésus-Christ donne donc à voir une vie humaine exemplaire, pleinement conforme à la loi naturelle. Il est ainsi le critère ultime pour déchiffrer correctement quels sont les désirs naturels authentiques de l’homme, quand ils ne sont pas occultés par les distorsions introduites par le péché et les passions déréglées.

L’incarnation du Fils a été préparée par l’économie de la Loi ancienne, signe de l’amour de Dieu pour son peuple Israël. Pour certains Pères, une des raisons pour lesquelles Dieu donna une loi écrite à Moïse fut de rappeler aux hommes les exigences de la loi naturellement écrites dans leur cœur mais que le péché avait partiellement obscurcies et effacées. Cette Loi, à laquelle le judaïsme a identifié la Sagesse préexistante qui préside aux destinées de l’univers, mettait ainsi à la portée d’hommes marqués par le péché la pratique concrète de la vraie sagesse qui consiste dans l’amour de Dieu et du prochain. Elle contenait des préceptes liturgiques et juridiques positifs mais aussi des prescriptions morales, résumées dans le Décalogue, qui correspondaient aux implications essentielles de la loi naturelle. Aussi la tradition chrétienne a-t-elle vue dans le Décalogue une expression privilégiée et toujours valable de la loi naturelle.

Jésus-Christ n’est « pas venu abolir mais accomplir » la Loi (Mt 5, 17). Comme il ressort des textes évangéliques, Jésus « enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes » (Mc 1, 22) et il n’hésitait pas à relativiser, voire à abroger, certaines dispositions positives particulières et temporaires de la Loi. Mais il en a aussi confirmé le contenu essentiel et, en sa personne, il a porté la pratique de la Loi à sa perfection en assumant par amour les différents types de préceptes – moraux, cultuels et judiciaires – de la Loi mosaïque, qui correspondent aux trois fonctions de prophète, de prêtre et de roi. Saint Paul affirme que le Christ est la fin (telos) de la Loi (Rm 10, 4). Telos a ici un double sens. Le Christ est le « but » de la Loi, au sens où la Loi est un moyen pédagogique qui avait vocation de conduire les hommes jusqu’au Christ. Mais aussi, pour tous ceux qui par la foi vivent en lui de l’Esprit d’amour, le Christ « met un terme » aux obligations positives de la Loi surajoutées aux exigences la loi naturelle.

Jésus a, en effet, mis en valeur, de multiples manières, la primauté éthique de la charité, qui unit inséparablement amour de Dieu et amour du prochain. La charité est le « commandement nouveau » (Jn 13, 34) qui récapitule toute la Loi et en donne la clé d’interprétation : « A ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes » (Mt 22, 40). Elle livre aussi le sens profond de la règle d’or. « Ne fais à personne ce que tu n’aimerais pas subir » (Tb 4, 15) devient avec le Christ le commandement d’aimer sans limite. Le contexte dans lequel Jésus cite la règle d’or détermine en profondeur sa compréhension. Elle se trouve au centre d’une section qui commence par le commandement : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » et qui culmine dans l’exhortation : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux » Au-delà d’une règle de justice commutative, elle revêt la forme d’un défi : elle invite à prendre l’initiative d’un amour qui est don de soi. La parabole du Bon samaritain est caractéristique de cette application chrétienne de la règle d’or : le centre d’intérêt passe du souci de soi au souci d’autrui. Les béatitudes et le sermon sur la montagne explicitent la manière dont doit être vécu le commandement de l’amour, dans la gratuité et le sens de l’autre, éléments propres à la nouvelle perspective assumée par l´amour chrétien. Ainsi la pratique de l´amour surmonte toute fermeture et toute limite. Elle acquiert une dimension universelle et une force inégalable, puisqu’elle rend la personne capable de faire ce qui serait impossible sans l’amour.

Mais c’est surtout dans le mystère de sa sainte Passion que Jésus accomplit la loi d’amour. Là, comme Amour incarné, il révèle d’une manière pleinement humaine ce qu’est l’amour et ce qu’il implique : donner sa vie pour ceux qu’on aime. « Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin » (Jn 13, 1). Par obéissance d’amour au Père et par désir de sa gloire qui consiste dans le salut des hommes, Jésus accepte la souffrance et la mort de la Croix en faveur des pécheurs. La personne même du Christ, Logos et Sagesse incarnés, devient ainsi la loi vivante, la norme suprême pour toute éthique chrétienne. La sequela Christi, l’imitatio Christi, sont les chemins concrets pour réaliser la Loi dans toutes ses dimensions.


  • L’Esprit saint et la Loi nouvelle de liberté

Jésus-Christ n’est pas seulement un modèle éthique à imiter mais, par et dans son mystère pascal, il est le Sauveur qui donne aux hommes la possibilité réelle de mettre en œuvre la loi d’amour. En effet, le mystère pascal culmine dans le don de l’Esprit saint, l’Esprit d’amour commun au Père et au Fils, qui unit les disciples entre eux, au Christ et enfin au Père. En « répandant l’amour de Dieu dans les cœurs » (Rm 5, 25), l’Esprit saint devient le principe intérieur et la règle suprême de l’action des croyants. Il leur donne d’accomplir spontanément et avec justesse toutes les exigences de l’amour. « Laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire la convoitise charnelle » (Ga 5, 16). Ainsi s’accomplit la promesse : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes » (Ez 36, 26-27).

La grâce de l’Esprit saint constitue l’élément principal de la Loi nouvelle ou Loi de l’Évangile. La prédication de l’Église, la célébration des sacrements, les dispositions prises par l’Église pour favoriser chez ses membres le développement de la vie dans l’Esprit sont totalement référées à la croissance personnelle de chaque croyant dans la sainteté de l’amour. Avec la Loi nouvelle qui est une loi essentiellement intérieure, « loi parfaite de liberté », le désir d’autonomie et de liberté dans la vérité qui habite le cœur de l’homme atteint ici-bas sa plus parfaite réalisation. C’est du plus intime de la personne, habitée par le Christ et transformée par l’Esprit, que jaillit son agir moral. Mais cette liberté est toute au service de l’amour : « Vous, mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais par la charité mettez-vous au service les uns des autres » (Ga 5, 13).

La Loi nouvelle de l’Évangile inclut, assume et accomplit les exigences de la loi naturelle. Les orientations de la loi naturelle ne sont donc pas des instances normatives extérieures par rapport à la Loi nouvelle. Elles en sont une partie constitutive, bien que seconde et toute ordonnée à l’élément principal, qui est la grâce du Christ. C’est donc à la lumière de la raison éclairée désormais par la foi vive que l’homme saisit au mieux les orientations de la loi naturelle qui lui indiquent le chemin du plein épanouissement de son humanité. Ainsi, la loi naturelle, d’une part, entretient « un lien fondamental avec la loi nouvelle de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus et, d’autre part, offre une large base de dialogue avec les personnes d’autre orientation ou formation, en vue de la recherche du bien commun ».

 

17 questions sur la loi naturelle : les débats dits de société font réapparaître la pertinence de la notion de loi naturelle pour fonder le « vivre ensemble » dans un pays divisé de croyances et même de cultures. Il est nécessaire d’étudier en profondeur ce qu’est la loi naturelle (sans trop s’appuyer sur son évidence) et de comprendre le divorce que la modernité a introduit en réduisant la nature à sa dimension amorphe sans finalité immanente, simple objet de la science et en faisant de la loi un impératif arbitraire qui ne tient sa raison que de l’autorité qui la fait, laissant l’homme sous la domination du pouvoir totalitaire. Argumentaires construits sur la base des travaux de la CTI (COMMISSION THEOLOGIQUE INTERNATIONALE – A LA RECHERCHE D’UNE ETHIQUE UNIVERSELLE) et de Servais Th. Pinckaers op (La morale catholique – CERF, 1991).