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Quand les artistes nous parlent d’amour

Ebloui par la somptuosité et le chatoiement des coloris des vêtements des deux personnages, notre regard est néanmoins très rapidement attiré et touché par la sérénité et l’intensité des liens qui unissent Pierre Paul Rubens et son épouse Isabella. Sagement assis l’un près de l’autre, le peintre sur un siège de jardin, son épouse accroupie à ses pieds, sans effusion extérieure, sans la moindre possibilité d’échange de regard, immobilisés à jamais pour un portrait et dans une pose qui n’a en fait rien de très confortable, ils nous confient néanmoins tous deux la réelle affection qui les unit. La pudeur des sentiments et la décence des comportements ne sont pas ici un obstacle à l’expression de l’amour. Tout au contraire, elles lui confèrent une dignité qui se communique et une tendresse qui sait demeurer personnelle et privée dont bon nombre de nos «people» actuels feraient peut-être bien de s’inspirer !

La partie sociale émergée de l’amour

Un léger sourire sur les lèvres d’Isabella, une évidente expression de plénitude sur les beaux traits de Rubens et l’élégance de leurs deux mains posées l’une sur l’autre nous disent combien l’essentiel de leur amour n’est pas affaire publique. Ils semblent s’être assis ainsi quelques instants sous nos yeux pour nous faire part de leur bonheur d’être unis par le mariage, cette partie sociale émergée de leur amour.

Le soin apporté à leur toilette, la richesse des étoffes de leur tenue vestimentaire, la délicatesse des dentelles, l’or des surpiquages et des passementeries, jusqu’à l’incroyable chapeau flanqué en équilibre sur la chevelure emprisonnée dans la dentelle d’Isabella, tout ici témoigne de l’aisance pour ne pas dire de la fortune du couple qui nous regarde. La présence d’une épée dans la main gauche de Rubens nous rappelle son rang social et son annoblissement. De fait, il fut le peintre officiel des souverains des Pays-Bas de 1609 à 1621 ; il était de plus très prisé des Grands pour l’érudition et le charme de sa conversation et mena à bien une importante mission diplomatique. Il jouiera toute sa vie durant d’une position sociale sans égale chez les artistes de son temps. Voilà pour ce qui est du social.

La main gauche tenant élégamment le pommeau d’une épée, Pierre Paul Rubens appuie son avant-bras droit sur la cuisse afin d’offrir sa main à demi ouverte à son épouse. Celle-ci y dépose doucement la sienne avec une évidente confiance. Pas de doigts qui s’entrelacent, pas de caresse, juste la force de l’homme qui soutient la confiance de la femme ; juste l’amour qui s’offre et l’amour qui se donne. Voilà pour ce qui est du privé.

Cette vision de l’amour tranquille et certain de lui-même a tout pour indisposer nos esprits contemporains et leurs conceptions hédonistes et consommatrices de l’amour humain qui veut que l’on «s’essaie» avant de se donner et que l’on se marie avec, incluse dans le contrat civil de mariage, l’assurance-divorce. Et de fait, il existe tant de couples qui se déchirent, se séparent, abandonnant à la dérive de leurs reproches et déceptions réciproques les enfants nés de leurs amours avides et provisoires. Tant de couples aussi dont le bonheur socialement affiché cache, non un amour pudique et consolateur, mais les drames de la solitude à deux et de l’enfer au quotidien.

La solitude à deux de l’amour bourgeois

De ces malheurs de la caricature de l’amour enveloppée dans le paquet-cadeau du mariage, les artistes de la peinture occidentale ont aussi fait leur thème d’inspiration. Souvent avec délicatesse, parfois même avec humour.

Telle cette toile cinglante de Nicolas de Largillierre (ci-dessous). Ce portrait d’une famille, dont on ignore le nom, autrefois identifiée comme celle du peintre, place trois personnages devant un coucher de soleil flamboyant qui met en valeur la richesse des habits et la blancheur des carnations féminines. Chacun d’entre eux est représenté dans son activité sociale.

L’homme est accompagné de deux oiseaux morts évoquant la chasse ; le port débraillé de ses vêtements suggère le peu de cas qu’il fait de la présence de sa famille, tandis qu’il tourne ostensiblement son regard vers nous. Son épouse lui fait face à l’autre extrémité de la toile. A la fois richement vêtue et empruntée, elle regarde son mari dans une attitude hautaine et distante. Elle est aussi pâle et guindée que son époux est sanguin et vautré.

Entre les deux, un large espace vide destiné à se creuser davantage et qui semble les plaquer chacun contre une extrémité de la toile. Aucun regard ne se croise, aucun cœur ne se frôle, aucune vie ne s’inquiète de celle de l’autre, si ce n’est pour le dépit et le reproche comme dans ce regard courroussé et dépité de l’épouse.

L’horreur intégrale des cœurs vides et des vies brisées en version bien élevée. D’autres artistes, à d’autres époques, exprimeront ces mêmes détresses dans leurs conséquences personnelles et sociales les plus délabrées et les déchéances les plus vulgaires.

La jeune fille, fruit de leur union, est placée à côté de sa mère. Elle tient dans sa main gauche une partition de musique et adopte une position théâtrale, laissant penser qu’elle s’apprête à chanter. Ses yeux levés au ciel donnent le sentiment embarrassant d’une fuite en avant et d’un besoin d’évasion. On la comprend !

Chacun dans son univers et chacun pour soi : un vaccin contre le bonheur, la caricature d’une famille, le contraire de l’amour. Un passeport assuré pour la jouissance sans contraintes et l’amour exclusif de soi-même !

Passer la mort et perdurer après elle

Mais, si nous déplorons à ce point les désordres familiaux et les caricatures de l’amour, allant même parfois jusqu’à nier la possibilité des bienfaits de la famille et de l’existence de l’amour, ne serait-ce pas parce que nous avons au fond de nous l’aspiration irrépressible au bonheur réel qu’ils prodiguent lorsqu’ils sont authentiques ? Ce n’est pas parce que la maladie existe qu’il faut nier jusqu’à la possibilité même de la santé !

Raison pour laquelle l’amour humain, à ses premiers instants comme à chacune de ses étapes, est un thème d’inspiration récurrent de la peinture et de la sculpture européennes, celles-ci allant même jusqu’à affirmer dans certaines de leurs œuvres la certitude de la capacité du véritable amour humain à passer la mort et à perdurer après elle. C’est ce dont, entre bien d’autres, témoignent «Les élus», sculpture anonyme (ci-dessus) au chapiteau de l’une des colonnes de la crypte de l’Eglise de Charlieu. Elle date du XIIe siècle, mais sa facture pourrait être contemporaine. Deux êtres qui s’aiment d’un véritable amour se retrouvent et se reconnaissent après leur mort pour parachever dans l’éternité leurs amours terrestres. Thème essentiellement chrétien, et par conséquent essentiellement humain, qui puise sa vigueur à travers les siècles dans l’espoir, qui pour les disciples du Christ est une Espérance et que nous portons tous au fond du cœur, de la possible existence du véritable amour.

 

Eblouissement de la découverte
Existence du véritable amour qui nous ennivre et donne à tout notre être la conscience d’être capable de préférer le bien d’un autre, ou d’une autre, au sien propre, d’être capable de donner sa vie pour celui ou celle qu’il aime.

 

Eblouissement de la découverte du véritable amour, qui nous donne le sentiment d’être le bénéficiaire d’un miracle, qui nous rend humble et néanmoins capable de tout.

Ce «miracle», lui aussi, lui bien sûr, a fourni aux artistes au cours des siècles thème à inspiration et prétexte à exprimer la beauté de l’amour naissant.

Ainsi cette œuvre de Manet (ci-dessus), Chez le Père Lathuille, qui nous livre, avec le charme raffiné de sa palette et son intérêt pour les êtres, cet instant précis où, pour la première fois, l’autre a plus d’intérêt à vos yeux que vous-même. Il est un peu bellâtre, elle n’est pas très jolie, ils ne sont pas exceptionnels ; peut-être triche-t-il un peu, peut-être n’ose-t-elle pas y croire, peut-être est-il trop impatient et elle trop méfiante. Nous ne le saurons jamais. Pourtant il déploie tout son charme et son bras l’entoure avec précaution et délicatesse. Pourtant, même si l’incrédulité raidit ses reins, elle l’écoute et plonge son regard au plus profond des yeux de celui qu’elle aimerait bien croire.

Pour ceux qui en sont les témoins, comme le garçon de café à l’arrière-plan, ces instants de la découverte, qui sont si personnels, sont incompréhensibles, considérés même souvent comme risibles pour ne pas dire dérisoires.

Peu importe à ceux qui se découvrent, se devinent, se cherchent par tous les pores de leur peau et toutes les fibres de leur âme. Les amoureux sont seuls au monde.

C’est ce bonheur que nous donne à contempler cet autre grand artiste qu’est Renoir dans sa Danse à la ville. La musique et la danse unissent un couple enlacé. Si joliment mise en valeur par sa robe blanche volantée, de sa main gantée elle tient délicatement l’épaule de son partenaire, tout en maintenant son équilibre, que menacent sans cesse les cadences rapides de la valse, en plaçant sa main droite dans le creux de la main que lui tend celui à qui elle s’en remet. Vêtu de noir comme l’est sa chevelure, légèrement penché vers elle, de sa main droite placée dans le creux des reins de la
jeune femme, il l’attire contre lui, sans trop insister, mais suffisamment pour que leurs corps se parlent.
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Sans se regarder, ils se contemplent de l’intérieur. Si Dieu leur a donné un corps, c’est pour aider leur cœur et leur âme à se deviner, à se confier, à s’unir. Il y a toujours deux façons de faire les choses, celle qui écrase l’âme sous la pesanteur du corps, et celle que chantent les poètes et qui donne de l’âme au corps en sublimant ses gestes.

Comme tant d’autres avant lui, Aragon a si bien su trouver les mots pour dire la beauté de ces instants de communion parfaite où âme et corps s’unissent en vérité :

«J’ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu’il fait jour à midi, qu’un ciel peut-être bleu
Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne
Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux
Tu m’as pris par la main comme un amant heureux

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement».

Un balbutiement à vocation d’éternité. Car si nous sourions à l’énoncé de l’adage qui veut qu’amour rime avec toujours, laissant ainsi entendre que ce ne sont là que fadaises pour naïfs sans expérience de la vie, c’est par crainte de voir disparaître au fil du temps l’amour que nous portons en nous, ou par angoisse de ne jamais vivre un amour qui mérite de dépasser la mort.

A l’image de celui que nous propose Rembrandt dans cette esquisse bouleversante Les Vieux : ils ont traversé la vie ensemble, et leur deux corps épuisés semblent ici se confondre. Il appuie le poids de leur vie commune sur la canne qui l’aide à marcher tandis qu’elle le guide dans sa cécité. Leurs mains se caressent autant qu’elles se tiennent et d’un même élan, pesant mais confondu, ils s’avancent vers la mort. Pour la franchir.

Telle est la belle destinée accordée par le Dieu d’amour au véritable amour humain.