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Auguste & Julien l’apostat – Quelle autorité pour quel bien commun ?

DISCERNEMENT : En démocratie, nous sommes appelés à discerner les qualités de « l’élu » en vue du bien commun. Quel bien désirer ? Quelle politique préférer ? Qui choisir ? Le beau, splendeur du vrai, nous apprend à voir au delà des idéologies et des faux-semblants pour fonder notre jugement sur les actes qui nous disent la personne.

Exercice pratique : « L’autorité d’Auguste qui ordonne sans asservir, incite à l’obéissance sans humiliation et invite chacun à participer à l’édification d’une œuvre plus grande que soi ».

Julien l'apostatLa magnifique statue de droite [ Ces deux œuvres se trouvent au Musée du Louvre dans la salle des antiquités]nous attire d’emblée par son charisme et l’évidente autorité qui se dégage du dignitaire romain qu’elle portraiture. Tout concourt dans la réalisation de ce chef-d’œuvre à nous mettre en relation directe avec Octave devenu Auguste et nous révèle au premier coup d’œil ses traits de caractère principaux.

L’unité de la personne

Ainsi que nous pouvons en juger par la facture ferme, dessinée et précise du ciseau du sculpteur comme par la pose qu’il a choisi de donner à son modèle, l’élégance de la toge qui l’habille comme par la traduction qu’il nous livre de la gestuelle d’Auguste, tout le savoir faire et le savoir traduire de l’artiste sont au service du portrait qu’il nous transmet de l’Empereur Auguste et de l’ascendant que ce dernier devait d’évidence exercer sur tous ceux qui l’entouraient. Le tout dans un admirable rendu de l’unité de sa personne.

Que l’on en juge par la belle stature qu’il nous est donné de contempler : les deux pieds légèrement écartés afin de bien se camper sur le sol et d’y imprimer sa trace, les belles proportions de son corps dont les plis de la toge qui le recouvre nous livrent à la fois la puissance et l’élégance, la courbe douce des épaules qui semblent légèrement ployer sous le poids d’une charge dont on imagine aisément l’origine.

L’agencement du plissé de l’étoffe qui revêt le corps au plus près sur le galbe de sa jambe droite, prend de l’ampleur et du volume au niveau de sa taille et de ses épaules pour dégager et mettre en évidence les gestes de ses deux mains qui traduisent l’importance du personnage et de sa charge. Notre regard s’attarde volontiers sur le dessin de sa main droite qui, au niveau de la hanche, se dégage du vêtement largement échancré dans un geste à la fois d’autorité et d’apaisement. Placée nettement plus haut, sa main gauche émerge avec force du drapé d’étoffe reposant sur son bras. Elle enserre fermement un rouleau de parchemin. L’agencement de ces deux gestes n’est pas fortuit et indique une hiérarchie : placée au-dessus de la main qui dirige et commande avec fermeté et magnanimité, celle qui tient la loi écrite et proclamée, laquelle protège de l’arbitraire.

L’on retrouve ces mêmes vertus de force et de tempérance sur le dessin viril des traits glabres du visage d’Auguste. L’unité de la personne est évidente. Une forte mâchoire et une bouche ourlée résolument close. Un nez droit et long à l’aplomb d’un menton volontaire. Sous le front haut et large de solides arcades sourcilières surplombent des yeux au regard scrutateur qui vise loin dans l’espace et le temps. Une chevelure courte, légèrement bouclée au centre du front et des oreilles un décollées parachèvent la personnalisation de ce visage dont la résolution confirme celle qui s’exprime dans la gestuelle de ses deux mains.

Et voici l’Etat

La superbe d’Auguste est paisible, sans trace d’arrogance ni de défi, et par là-même apaisante et rassurante ; elle fait autorité, impose le respect et suscite le goût de l’ordre. Cette autorité qui ordonne sans asservir, incite à l’obéissance sans humiliation et invite chacun à participer à l’édification d’une œuvre plus grande que soi.

Et voici l’Etat, avons-nous envie de dire en considérant cette œuvre qui nous met en relation directe avec la figure historique d’Auguste, premier empereur romain. Cette évidente maîtrise de soi, cette capacité à exister totalement par soi-même… Nous sommes en présence d’une saisissante incarnation du pouvoir en un être qui se maîtrise parfaitement lui-même tout comme il domine l’Empire qu’il vient de créer dans sa forme politique. Ce que Corneille traduira dans ses vers célèbres : «Je suis maître de moi comme de l’univers. Je le suis. Je veux l’être» (Cinna, acte V, scène III) !

Mais un maître qui réfère son autorité à une loi. Il ne s’agit pas ici de dictature, mais d’un pouvoir expression de la loi et non plus de la seule force, même si la poigne d’Auguste devait être ferme et sans défaillance.

A travers cette figure du premier empereur romain, le sculpteur nous transmet le legs considérable que la civilisation occidentale a reçu de la construction politique romaine : le pouvoir, même d’un seul, est l’expression de la loi à laquelle il est lui-même soumis. Principe essentiel qui permettra d’apprécier la différence qui existe entre un souverain et un tyran, le premier appliquant la loi pour le plus grand bien commun, le second faisant la loi selon son bon plaisir et en fonction de ses intérêts personnels. Ne restait plus qu’à soumettre la loi et son contenu à une vérité universelle qu’elle n’était pas capable de définir par elle-même. Ce sera l’œuvre du christianisme…

«Rome tend les bras à César qui demeure, sous le nom d’Auguste et sous le titre d’empereur, seul maître de tout l’Empire. (…) Victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus. Tout l’univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au monde»[[Bossuet (Discours sur l’Histoire universelle) Oeuvres complétes, Tome 1]].

Le jeu des comparaisons, ici, est assassin

A l’évidence, nous n’avons pas le même sentiment de majesté et de plénitude lorsque notre regard s’attache non plus à Auguste, mais à la statue de cet autre empereur romain qu’est Julien l’apostat [Empereur de 361 à sa mort en 363, il était le neveu de Constantin le Grand. Il rejeta le christianisme et restaura dans l’Empire la religion païenne polythéiste. Il est l’auteur de Adversus Christianus, traité antichrétien qui nous est connu par la réfutation qu’en fit Cyrille d’Alexandrie.] ( à droite). Mêmes statues de pied, même attitude, même fonction… ici le jeu des comparaisons est assassin. Déjà peu flatté par le sculpteur qui en a fait le portrait, l’empereur Julien succombe à la comparaison que nous faisons ici avec la statue d’Auguste.

Pourtant elle s’imposait. A trois siècles de distance, ces deux hommes ont exercé la même fonction de gouvernement de l’Empire romain. Et si l’Empire naissant géré par Auguste était encore fragile, la Rome impériale confiée à Julien bénéficiait d’un rayonnement incontestable sur tout le bassin méditerranéen et le monde considéré alors comme civilisé. La charge portée par le premier était sans doute plus considérable que celle pesant sur les épaules du second qui bénéficiait de l’évidence d’un pouvoir ayant déjà fait ses preuves. Julien apparaît pourtant ici, sous le ciseau de l’artiste réalisant son portrait, comme un homme incapable de dominer sa fonction.

Que l’on en juge. Des pieds comme des palmes, légèrement trop écartés et mous dans leur raccourci. Une toge trop courte qui vient inélégamment s’interrompre à l’horizontale et découvre les chevilles, laissant entre elles deux un vide important qui déstabilise la statue à sa base. Un plissé quasi vertical et sans relief du vêtement qui recouvre le corps sans le dessiner et vient s’effondrer sur le sol à côté du pied gauche dans un volume sans vie, visiblement là pour assurer par sa masse l’équilibre au sol de la statue.

Mais d’une certaine façon, le pire est à venir.

Pendant mollement à l’extrémité d’un avant-bras que ne retient pas le coude, sa main gauche enserre entre des doigts gourds un objet que l’on a grand mal à définir. Un stylet, peut-être… pour un empereur plus intellectuel qu’homme politique. Tandis que son bras droit, emprisonné dans les plis trop serrés de sa toge, semble reposer dans le drapé de l’étoffe comme un bras cassé dans une écharpe. Nulle volonté, nulle expression, nulle action, indiquée par ses deux mains molles dont l’empereur Julien donne le sentiment de ne pas savoir quoi faire.

Des épaules tombantes émerge difficilement un cou un peu court portant une tête ronde aux traits irrésolus. Une barbe courte mais abondante dissimule le dessin de la mâchoire que surplombe une bouche gourmande et proéminente. Un nez court et fort sépare deux yeux dont le regard imprécis donne le sentiment de ne savoir où se poser au-delà de ceux à qui il se présente mais ne considère pas.

Tout s’affaisse et s’abandonne dans la stature de ce personnage mou, sans charisme, sans grande personnalité et dépourvu de la moindre élégance. Comment y voir un chef qui entraîne, qui stimule et porte une vision ou un espoir commun. Là où les peuples cherchent une force, il n’y a qu’indécision et dérobade.

Il faut dire que l’empereur Julien était un apostat, un déserteur de ce christianisme dans lequel les élites et le peuple de son Empire voyaient la réponse à leur soif d’absolu et de vision du monde.

Peut-être l’artiste qui l’a croqué sans ménagement ni aménité avait-il des sympathies pour ces chrétiens à qui l’empereur venait de reprendre le droit de cité que leur avait octroyé Constantin le Grand, son prédécesseur.

En revanche, ce qui ne relève pas de la supposition, c’est la volonté de l’artiste de souligner les graves défauts et les manques de son modèle dans la représentation qu’il fait de lui. Comment éprouver, à défaut d’admiration, la moindre considération pour ce personnage falot et mou, qui écrase le sol et évite de croiser notre regard ?

Moins d’un siècle après la fin de son court règne, l’Empire romain disparaîtra, dans sa forme politique, sous les coups des premières invasions barbares. Les vertus civiques essentielles qui, au cours des siècles, firent la grandeur de l’Empire romain, avaient depuis quelque temps déjà déserté le cœur de ses responsables politiques. Le portrait que nous avons ici de l’empereur Julien nous permet d’évaluer à quel point !…